Hong KongSauvegarder des données pour sauver la mémoire du mouvement pro démocratie
Face aux répressions, des militants hongkongais s’organisent pour perpétuer la mémoire du mouvement pro démocratie.
C’est dans l’ombre que des militants pro démocratie hongkongais œuvrent à sauvegarder des données pour perpétuer la mémoire de leur mouvement, notamment celles d’un musée et d’un journal contraints de fermer dans un contexte de répression de la dissidence.
Début juin, les services d’hygiène ont fermé pour défaut d’autorisation le musée dédié aux victimes de la répression de Tiananmen en 1989, le seul mémorial de ce type existant en Chine.
Il évoquait la manière dont Pékin a réprimé les manifestations dans la capitale chinoise et les trois décennies de veillées à la bougie organisées tous les 4 juin à Hong Kong. Cette fermeture n’a guère étonné, les autorités interdisant depuis l’an passé la tenue de cette commémoration.
Avec des militants, l’écrivain chinois dissident Chang Ping, ancien leader étudiant en 1989, a passé 2020 à créer une version en ligne de ce musée. «Nous espérons sauver l’esprit de 30 ans de veillées à Hong Kong, qui ont été un acte de résistance sans équivalent dans l’histoire de l’humanité», a déclaré par téléphone à l’AFP M. Chang depuis son domicile en Allemagne.
Ce musée en ligne n’est que l’un des exemples de la manière dont le numérique permet de perpétuer certains vestiges du passé de Hong Kong, objet d’une reprise en main musclée par le pouvoir central chinois après l’immense mouvement pro démocratie de 2019.
Des solutions virtuelles
L’Alliance Hong Kong, qui gérait le musée et organisait cette veillée annuelle, savait que ses chances de survie étaient minces depuis que Pékin a imposé l’an passé une loi sur la sécurité qui a bâillonné toute dissidence.
La plupart des membres de cette alliance, sur le point de se dissoudre, ont été arrêtés mais 1,6 million de HKD (188’644 francs) a été collecté pour construire une Arche de Noé virtuelle pour leur mouvement. D’autres projets n’ont pas eu autant de temps pour se préparer à l’inéluctable.
«Course contre la montre»
Chris Wong, développeur de logiciels qui s’est exprimé sous pseudonyme, a expliqué comment, au début de l’année, il a été contraint de trouver des spécialistes de la programmation internet pour préserver un maximum de données de l’Apple Daily, un tabloïd hongkongais très critique à l’égard de Pékin.
Son propriétaire, le magnat Jimmy Lai a été incarcéré et inculpé de collusion avec des forces étrangères pour avoir appelé à des sanctions contre la Chine. En juin, la police a eu recours à la loi sur la sécurité nationale pour geler les avoirs du journal qui a été contraint de fermer quelques jours plus tard. Les jours précédents sa dernière parution et la fin de sa version en ligne ont été «une course contre la montre», se souvient M. Wong.
Il s’est tourné vers le forum internet LIHKG, qui a joué un rôle déterminant dans l’organisation des manifestations de 2019, pour trouver des férus de technologie qui, bénévolement, ont extrait des contenus et des données du site internet du journal. Ils ont réussi à archiver deux millions de pages sur un site internet en écrivant environ 10’000 lignes de code, a expliqué M. Wong.
Perpétuer le passé
«En raison de nos compétences en matière de technologie, nous estimons avoir l’obligation d’aider à préserver l’histoire de Hong Kong», a déclaré M. Wong à l’AFP. Mais, selon lui, tout le monde peut et doit jouer un rôle pour perpétuer le passé.
Des sauvegardes numériques similaires ont été créées pour les reportages de RTHK, la chaîne publique de télévision. Au cours des six derniers mois, ses programmes ont été remaniés pour ressembler d’avantage aux médias chinois étroitement contrôlés par le régime.
Des journalistes critiques ont perdu leur emploi, des émissions d’actualité ont été supprimées, tandis qu’une grande partie de ses publications sur les réseaux sociaux, y compris des articles critiquant les autorités, a disparu.
Un militant, se faisant appeler «Freeman», affirme que son collectif a sauvegardé 14 téraoctets de reportages vidéo de RTHK et Apple Daily.
Militantisme risqué
Un tel cyber militantisme n’est pas sans risque. Ces dernières semaines, les médias pros Pékin de Hong Kong ont laissé entendre que digitaliser l’ensemble de la collection du musée Tiananmen enfreignait la loi sur la sécurité nationale.
Ces mises en garde sont généralement suivies d’interventions policières. Quelques jours après son lancement, le site où étaient sauvegardées les données de l’Apple Daily a été victime d’une cyberattaque qui l’a rendu inaccessible.
Mais Chang Ping affirme qu’il ne baissera pas les bras. «Si construire un musée est un crime, alors toute l’histoire de la civilisation humaine est illégale».