LivreSimon Beuret débute en BD et séduit au premier regard
Le Jurassien de 31 ans fait une entrée remarquée dans le 9e Art avec «Eye Contact», une filature sans détective mais pas sans suspense émotionnel.
C’est sans doute parce que Rodolphe Töpffer le Genevois a inventé la BD que notre pays est si riche en talents en la matière. À l’expression BD franco-belge on devrait ajouter un «suisso» quelque part. C’est donc toujours avec une certaine impatience qu’on se plonge dans le premier album d’un nouveau venu, en espérant qu’il vienne enrichir la déjà très belle équipe d’auteurs suisses.
Avec Simon Beuret, c’est bien parti. Même son éditeur le dit: «Chez Atrabile, pas plus qu’ailleurs, il n’y a de boules de cristal et pourtant on serait prêt à jurer que l’on n’a pas fini d’entendre parler de Simon Beuret». C’est normal, me direz-vous, c’est son éditeur. Ce n’est pourtant pas si fréquent de le clamer ainsi. Et à la lecture de «Eye Contact», on comprend pourquoi Atrabile s’avance de la sorte.
Bichromie en noir et bleu
Première impression: le dessin est très sympa, fluide et bichromie noir et bleu. «Je dessine au feutre noir puis je rajoute des lavis, encre de Chine et eau, mais toujours en noir. C’est en scannant les planches qu’arrive le bleu» nous explique ce natif de Porrentruy (JU) qui vit aujourd’hui à Bienne. Côté technique, c’est donc bien maîtrisé pour celui qui est également lithographe.
Côté histoire, on découvre un jeune homme, dans une grande ville, qui prend les gens en filature. Pas en tant que détective privé, mais pour pouvoir les capturer en dessin. Avec un défi: éviter que l’autre ne le regarde, pas d’eye contact. Cela fonctionne et le type se sent génial devant son tableau de chasse, qu’il accroche sur le mur de son appart. Jusqu’au jour où cela se produit: sa proie fixe ses yeux sur lui. Et c’est une jeune fille. Si lui dessine pour capturer le monde tout en en restant isolé, elle aussi peine à trouver sa place dans cette société. Le petit jeu du chat et de la souris va commencer entre les deux et cela ne sera pas aussi facile que dans les émissions du type «mariés au premier regard». Parce que pour bien voir l’autre, il faut déjà apprendre à se regarder soi-même
L’auteur s’est essayé à la filature
Comment ne pas voir d’éléments autobiographiques dans cette histoire conçue par un dessinateur qui a vécu plusieurs mois à New York. Sauf qu’il y en a encore plus que l’on ne pense: «J’ai fait des recherches sur la filature auprès de trois détectives privés en Suisse, parce que je trouve le thème romantique. Ils m’ont appris plein de petits trucs que mon héros expose au début du livre. Moi, je m’y suis essayé aussi. Quand on apprend à dessiner, il y a souvent ce petit jeu de se mettre en face d’un inconnu dans un bus ou un train, et d’essayer de le croquer sans qu’il s’en aperçoive. La filature, c’est le cran supérieur».
Mais contrairement aux récits qu’ont pu lui faire les détectives privés, Simon Beuret n’a pas connu d’aventure palpitante ou rencontré l’âme sœur dans ses filatures. «C’était globalement décevant, le seul suspense se résumant souvent à savoir si la personne irait à la Coop ou à la Migros. Mais qu’importe, rien que la pratique a nourri mon histoire».
Autre bonne idée de celui qui est également illustrateur, c’est le papier avec deux points, comme des yeux, que son héros retrouve collé dans son dos après avoir fui son premier «eye contact», marqué comme Peter Lorre dans «M le maudit». «Je l’ai fait en songeant aux trois points, symbole des personnes aveugles, cela procure un motif graphique au récit». Ses deux héros plongés dans une grande ville qui a tout de New York sans qu’elle soit explicitement citée devront donc trouver le chemin jusqu’à l’autre dans cette jungle urbaine. Et ce qui aurait pu virer au noir reste toujours dans un esprit «Feel Good». En fait, «Eye Contact», c’est une romance rose, mais en bleu.
«Je veux en faire mon métier»
Chapeau donc pour un premier essai, qui ne fut pas facile à se concrétiser. «J’ai rebroussé 100 fois chemin dans mon histoire, mais il fallait bien que je construise quelque chose pour le présenter aux éditeurs. Une fois qu’Atrabile m’a dit oui, cela a été beaucoup plus facile. Pas qu’ils m’aient dit comment faire, mais sachant qu’ils étaient derrière moi, cela m’a libéré. Et quand j’ai eu fini mes 168 pages, j’étais bien sûr fatigué, mais pas du tout lassé, comme je le craignais. Je n’ai qu’une envie, continuer et en faire mon métier».
On attend volontiers la suite. En attendant, Simon Beuret sera en dédicace à Papiers Gras à Genève le 16 mars et «Eye Contact, qui est déjà paru, sera verni le 31 mars à la librairie Bostryche à Bienne.