FootballQue retenir des débuts de Murat Yakin?
Avec deux 0-0 contre l’Italie et en Irlande du Nord, le nouveau sélectionneur a connu des débuts contrastés. L’analyse lui reconnaît autant sa capacité à atténuer les points forts adverses que sa difficulté à animer offensivement son équipe.
- par
- Valentin Schnorhk De retour de Belfast
Il y avait un parfum de nouveauté. Suivre l’équipe de Suisse en cette première semaine de septembre, c’était se réjouir de redécouvrir quelque chose, tout en ayant le confort des certitudes induites par le dernier Euro. Bref, comment Murat Yakin allait-il imposer sa patte sur une formation qui a crû d’année en année sous les ordres de Vladimir Petkovic?
Après trois matches contre la Grèce en amical mais surtout contre l’Italie et en Irlande du Nord, la Suisse ne sait plus tellement où elle en est. Il y a eu une forme de rupture. Ce n’est plus vraiment l’équipe de Petkovic. Normal. D’autant plus que l’absence des cadres a contraint Yakin à tracer d’emblée sa propre ligne. Il n’y avait probablement pas meilleure mise à l’épreuve. C’est ce qui a rendu la dizaine intéressante, malgré deux 0-0 aux saveurs différentes. Bilan tactique de ce premier stage.
La réflexion d’avant-match
Au-delà du jeu, il y a la façon d’approcher les matches. Encore plus qu’un Petkovic qui savait être versatile même pendant l’Euro (en utilisant plusieurs systèmes différents), Murat Yakin semble s’inscrire dans une réflexion qui peut varier à chaque rencontre. Lors des deux rencontres de qualification au Mondial 2022, a Suisse a utilisé des animations et des systèmes qui dépendaient de l’adversaire.
Face à l’Italie, Yakin a pensé avant tout à son organisation défensive. L’ordre des matches - affronter d’abord le champion d’Europe avant un adversaire à la réputation moindre - l’a conduit à ordonner sa réflexion de la sorte. Et il l’a guidé vers ce 4-1-4-1 particulièrement destiné à fermer l’axe et à se calquer sur l’adversaire. Question de stabilité et d’équilibre, c’est aussi ainsi que la Suisse a attaqué.
Cette base sans ballon n’est pas immuable. En phase de construction, la rencontre de mercredi face à une équipe regroupée a illustré une variation: une organisation en 3-1-4-2 avec la balle, Rodriguez accompagnant les centraux Akanji et Elvedi pour trouver la passe qui fera avancer le jeu. Comme avec Vladimir Petkovic, la réussite en moins.
La capacité à annihiler l’adversaire
Dire que Murat Yakin a une pensée qui s’oriente sur le côté défensif n’est pas un gros mot. C’est dans cette phase de jeu qu’il est capable d’exprimer le mieux ses qualités d’analyse et d’exécution d’un plan de match. Il faut mentionner bien sûr le match contre l’Italie. Le choix d’une orientation très individuelle au milieu de terrain, quitte à aller chercher très haut le champion d’Europe n’allait pas de soi. Pari gagnant, même s’il a été validé par une part de chance (qu’il a reconnue).
Mais Yakin est probablement conscient de son héritage. Il s’est amusé à répéter que son équipe jouait au football, soit qu’elle était à même de posséder le ballon sur de longues séquences, et ce qu’importe l’adversaire. Contre l’Irlande du Nord, il n’y a rien eu de surprenant en la matière. Mais le technicien ne perd jamais vraiment de vue l’aspect défensif. Et il part du principe qu’il est possible d’être performant en la matière, même lors des séquences avec ballon. Il s’agit autrement dit d’être efficace dans la défense préventive, dans la capacité à anticiper la perte de balle.
C’est un axe de progression. Le déplacement de Belfast l’a témoigné, avec plusieurs transitions trop facilement développées par les Nord-Irlandais. Cela participe de l’organisation avec ballon, et donc de son animation. La Suisse a encore du travail en la matière.
Le besoin de clarté offensive
Il s’agit forcément de la déception de ce premier rassemblement. Le 0-0 en Irlande du Nord laisse un goût amer. La Suisse n’est jamais ou presque parvenue à déstabiliser le bloc adverse mercredi. «Nous avons fait trop de petites erreurs techniques et le ballon ne circulait pas assez vite», a simplement déploré Yakin.
Mais l’analyse de la rencontre révèle aussi un plan mal échafaudé. «Nous avons eu très peu de temps après le match contre l’Italie pour préparer celui-ci», disait encore l’ancien entraîneur de Schaffhouse. Reste qu’une fois passée la première ligne, la Suisse semblait se confronter au brouillard.
Car il convient tout de même de mentionner ce qui a fonctionné: la capacité à éliminer assez facilement le premier pressing nord-irlandais. Le fait de mobiliser Rodriguez dans cette phase-là et de créer une supériorité numérique (trois Suisses contre deux adversaires) le permettait. Est-ce ce qui a justifié ce choix d’animation? Peut-être, ou alors l’idée était plutôt d’exploiter les couloirs.
Tout cela n’était pas très clair. Quelle zone ciblait la Suisse? Qu’entendait-elle faire avec le ballon? Il y a plusieurs pistes, mais aucune n’est prometteuse. Même si, face à la densité axiale opposée par la Green and White Army, il y avait forcément une focalisation sur les ailes. Zakaria et Freuler se sont d’ailleurs souvent excentrés pour offrir de la profondeur à Vargas (à gauche) et Widmer (à droite). Ceux-ci ne l’ont que rarement exploitée.
Pourtant, face au bloc nord-irlandais, c’était probablement sur la largeur que les espaces existaient. Il y avait en tout cas une supériorité numérique possible. Trop rarement cependant, le déséquilibre a été créé. Un manque de mouvement, mais également de présence en est une raison importante. Mais il y a surtout le fait que la profondeur (qui a le mérite d’attirer un défenseur) a été très peu exploitée.
Il y a de quoi avoir des regrets. Car la Suisse a eu quelques bonnes séquences qui en appelaient d’autres: notamment lorsqu’elle fixait correctement une zone pour ouvrir des espaces ailleurs et y basculer rapidement. Il y a certes eu des approximations techniques, mais est-ce totalement un hasard que le penalty (manqué par Seferovic) vienne d’une telle action? En répondant par l’affirmative, on lance une piste qui pourrait s’avérer concluante pour Yakin.
Limitée dans ses intentions et dans ses réflexions pour prendre à défaut un bloc bas, la Suisse a donc pu mesurer ce qu’elle a perdu récemment. Cela doit aussi s’expliquer par l’absence de Granit Xhaka (qui organise les actions mieux que personne), de Xherdan Shaqiri (qui a une interprétation des espaces et une capacité pour déclencher hors-norme) ou Breel Embolo (capable de déstabiliser une défense par la percussion, notamment). Motif d’espoir pour Murat Yakin? À jauger en octobre, à nouveau contre l’Irlande du Nord.