GenèvePierre Maudet acquitté: un rappel de toute l’histoire
L’acquittement de Pierre Maudet est un coup de théâtre après six ans de rebondissements judiciaires et politiques au bout du lac. Entachée d’un mensonge au départ, son affaire lui a coûté sa carrière politique.
- par
- Eric Felley
L’ex-conseiller d’État Pierre Maudet l’a toujours affirmé: il faisait confiance à la justice et il irait jusqu’au bout des voies de droit pour obtenir son acquittement. Ce mardi, la décision de la Chambre pénale d’appel a tout de même dû le surprendre. Passer d’une condamnation à 300 jours-amendes à rien du tout, ce n’était pas évident.
Certes, le Ministère public peut faire recours au Tribunal fédéral. C’est tout de même un verdict difficile à avaler pour le Tribunal de police et pour les procureurs de la République. Encore faudra-t-il trouver un angle pour porter cette affaire genevoise devant les juges de Mon-Repos. L’affaire remonte à plus de six ans. En voici les principaux épisodes.
2015: le voyage à Abu Dhabi
Les liens de la Genève internationale avec les Émirats arabes unis amènent le conseiller d’État Pierre Maudet à voyager en 2015 du côté d’Abu Dhabi. En novembre 2015, il s’envole avec ses trois enfants et son épouse pour un séjour de quatre jours dans la capitale. Il est accompagné par son directeur de cabinet et un homme d’affaires. La famille loge à l’Emirates Palace. C’est aussi l’occasion d’assister à un Grand Prix de formule 1. Le coût du voyage sera estimé à 50 000 francs et passera alors inaperçu.
2017: le début de l’enquête
Début 2016, le journaliste Raphael Leroy (aujourd’hui à la RTS) s’interroge sur les tenants et les aboutissants de ce voyage, mais il n’obtient que des réponses superficielles ou vagues. L’affaire suscite alors la curiosité d’un policier de la brigade financière qui alerte le Ministère public genevois. Le 21 août 2017, une procédure contre inconnu pour «acceptation d’un avantage» est ouverte par le premier procureur Stéphane Grodecki sous l’œil du procureur général Olivier Jornot. Quelques semaines auparavant, le 4 août, Pierre Maudet avait annoncé sa candidature à la succession du conseiller fédéral Didier Burkhalter. Après une campagne haute en couleurs, il finira par s’incliner en décembre face à Ignazio Cassis.
2018: l’année où tout bascule
Le 15 avril 2018, Pierre Maudet est réélu au premier tour au Conseil d’État pour un nouveau mandat de cinq ans et doit prendre tout naturellement sa présidence. Mais au mois de mai déjà, il est auditionné sur son voyage et s’emmêle dans des explications contradictoires. Le 11 mai, un premier article est publié sur le déplacement à Abu Dhabi dans «La Tribune de Genève». La polémique devient publique. Le 14 mai, Pierre Maudet est auditionné devant la Commission de contrôle de gestion du Grand Conseil.
Le 1er juin, il accède à la présidence comme prévu. Mais, le 21 juin, lors d’une session extraordinaire, le Parlement, chauffé par la gauche et les Verts, lui tape sur les doigts en désapprouvant l’acceptation du voyage. Le 30 août, le Ministère public annonce qu’il a ouvert une poursuite contre le magistrat, pour le voyage mais aussi pour le financement de sondages dans le cadre de sa campagne.
Pierre Maudet reconnaît alors ne pas avoir dit toute la vérité sur son déplacement. Cela n’est pas sans conséquence pour le Gouvernement genevois. Le 13 septembre, il doit renoncer à la présidence et ses collègues lui retirent les dicastères de la police et de l’aéroport. Son immunité est levée le 20 septembre. Dans une ambiance délétère, Le PLR de Genève et le PLR suisse le prient instamment de quitter le parti. Ce qu’il refuse de faire.
2019: le temps de la rente à vie
Au début janvier, Pierre Maudet sauve sa tête devant les délégués du PLR genevois lors d’une assemblée mémorable. Mais le 23 janvier, ses collègues du Conseil d’État réduisent encore son activité à la seule promotion économique, tandis que le Grand Conseil vote une résolution le sommant de démissionner, ce qu’il refusera (les Genevois viennent de voter une loi qui permettrait aujourd’hui de le faire). Au mois de juin, la polémique se déplace sur la rente à vie, qu’il va bientôt pouvoir toucher après huit années passées au Conseil d’État. Pierre Maudet ne cède pas.
2020: la démission
À fin juin 2020, l’enquête du Ministère public est terminée et précise son intention de renvoyer Pierre Maudet en jugement pour l’acceptation d’un avantage. Quelques jours plus tard, c’est le comité directeur du PLR Genève qui exclut Pierre Maudet du parti. À la suite d’une nouvelle polémique sur sa façon de gérer les ressources humaines dans son département, ses collègues lui retirent le peu de responsabilités qui lui restent. Quelques jours après, au mois d’octobre, Pierre Maudet, annonce qu’il démissionne pour provoquer une élection complémentaire à laquelle il entend bien participer. En novembre l’acte d’accusation du Ministère public est prêt et vise le conseiller d’État, son ex-chef de cabinet, deux entrepreneurs et un fonctionnaire.
2021 Condamnation et non réélection
Du 15 au 19 février a lieu le procès de Pierre Maudet et de ses quatre coaccusés. La semaine suivante, le Tribunal de police condamne Pierre Maudet à 300 jours-amendes avec sursis pour acceptation d’un avantage en lien avec son voyage à Abu Dhabi (mais pas pour d’autres chefs d’accusation liés à sa campagne électorale). Son chef de cabinet et les deux entrepreneurs sont également condamnés et annoncent faire recours. Seul le fonctionnaire est acquitté.
Le 7 mars, Pierre Maudet, candidat indépendant, échoue dans son entreprise d’être réélu au Conseil d’État. Il doit s’incliner au second tour face à la candidate écologiste Fabienne Fischer. Il obtient quand même 38 174 voix, soit 33,6% des votants. Quelque temps plus tard, il annonce sa reconversion dans le privé au sein de l’entreprise WiSeKey à Genève, spécialisée dans la cybersécurité.
2022: l’acquittement
Au mois de janvier, la Chambre pénale d’appel et de révision acquitte donc Pierre Maudet de l’accusation d’acceptation d’un avantage et le libère de toute charge. L’État devra lui verser 40 000 frais pour ses frais d’avocat. Les deux entrepreneurs qui avaient mis sur pied le séjour controversé, sont pareillement acquittés. En première instance, ils avaient été condamnés à respectivement 240 et 180 jours-amendes avec sursis.
Le seul condamné dans cette affaire demeure l’ex-chef de cabinet, reconnu coupable en appel de violation du secret de fonction et d’instigation à abus d’autorité en lien avec l’ouverture d’un bar. Il est condamné à une peine de 90 jours-amendes avec sursis. Mais l’État doit quand même lui verser la somme de 58 500 francs pour ses frais de défense.