HOCKEY SUR GLACE: «Les hockeyeurs sont des durs à cuire, des gens qui savent se faire respecter»

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HOCKEY SUR GLACE«Les hockeyeurs sont des durs à cuire, des gens qui savent se faire respecter»

Médecin de Ge/Servette, Jacques Menetrey raconte avant l’acte IV de jeudi à Zoug la gestion clinique des play-off. Une période truffée d’adrénaline, de soins et de discussions serrées.

Simon Meier
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Simon Meier
Le Professeur Jacques Menetrey suit les Aigles depuis plusieurs années. Les play-off constituent toujours une période particulièrement intense pour lui.

Le Professeur Jacques Menetrey suit les Aigles depuis plusieurs années. Les play-off constituent toujours une période particulièrement intense pour lui.

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L’acte IV de la demi-finale de play-off entre Ge/Servette et Zoug a lieu ce jeudi soir à la Bossard Arena. Les Aigles, qui mènent deux succès à un dans la série, disputeront leur dixième match depuis le 14 mars, jour du début du quart de finale contre Lugano. Sur le pont auprès des Grenat, le Professeur Jacques Menetrey, par ailleurs actif au Centre de médecine du sport de La Colline, mesure la répétition des efforts – et des coups – sur les organismes. Il raconte son action dans la lessiveuse des play-off, entre soins express et discussions épineuses, et dit toute son admiration pour cette drôle de créature qu’est le hockeyeur.

D’habitude, on ment un peu en disant que les play-off, c’est un match tous les deux jours. Dans cette demi-finale Genève-Zoug, c’est vraiment vrai. À quel point cela change-t-il les choses pour les organismes et leurs bobos?

Du point de vue de la récupération, en termes de réhydratation, de rechargement des batteries en sucres et en protéines, cela ne change pas grand-chose. La période des play-off est presque moins compliquée à gérer qu’un «back to back» (ndlr: deux matches en 24 heures) pendant la saison régulière, parce qu’on a 36 heures entre deux.

Trente-six heures qui doivent représenter un sacré défi. Racontez-nous…

Le problème est double. Le premier point, c’est le sommeil. Parce qu’après des matches extrêmement intenses, avec beaucoup d’adrénaline, les joueurs ont du mal à dormir. On essaie vraiment d’éviter au maximum les cachets, parce que ça perturbe les cycles du sommeil et que ça laisse toujours des traces sur l’organisme. Il faut s’adapter pour laisser place au repos, quitte à repousser l’heure de tel entraînement. Deuxième point important, avec la succession des matches dans un sport d’impacts: il y a toujours un certain nombre de coups et de contusions qu’il faut gérer au quotidien.

«Il faut discuter et rediscuter, l’idée étant de protéger la santé du joueur, tout en veillant à la performance de l’équipe»

Pr Jacques Menetrey, médecin de Ge/Servette.

Comment?

Les joueurs suivent des routines très individualisées, avec l’usage immédiat de glace compressive, de solutions, de drainage, de massages, de bas de contention. Parfois, il y a un anti-inflammatoire pour la nuit, afin de diminuer les conséquences de certains chocs. Le retour au calme après un match est essentiel et correspond à un protocole très personnel en termes de récupération musculaire et mentale. Cette phase, si elle est bien négociée, peut favoriser le processus de guérison des blessures superficielles.

Il y a malheureusement des blessures plus graves, qui doivent donner lieu à des discussions serrées quant à la participation ou pas des joueurs, non?

C’est ce qu’on appelle le «risk management», un point extrêmement important puisque notre premier rôle est de protéger la santé des joueurs. La première chose, c’est la relation de confiance qu’on tisse au fil du temps avec le joueur. On en discute toujours avec lui, sachant que nous disposons d’un certain nombre de codes afin d’évaluer ce qui est jouable ou ne l’est pas. Ce sont des décisions difficiles à prendre, qui nécessitent du temps et qu’on prend en triangulation entre le joueur, le staff médical et le management sportif. Nous, on pose le cadre, et c’est toujours le joueur qui a le dernier mot.

Même lorsqu’il tient à jouer, alors que ce n’est pas raisonnable?

On revient au rapport de confiance dont je vous parlais. On use d’arguments. Si on lui explique bien que ce n’est pas une bonne idée, il va renoncer. L’information et la clarté sont capitales. Parfois, il faut discuter et rediscuter. L’idée étant d’abord de protéger la santé du joueur, tout en veillant à la performance de l’équipe. C’est cette balance qu’on appelle le «risk management». Très honnêtement, c’est l’une des choses les plus difficiles qu’on a à gérer. Et tout ceci est amplifié par l’impact des play-off, où les matches défilent très vite, avec un enjeu grandissant.

Cela nous amène au cas de Simon Le Coultre, revenu au jeu pendant ces play-off, deux mois après l’ablation d’un rein. Comment la décision a-t-elle été prise?

Il y a eu une très grosse réflexion. Il y a eu la décision de Simon, basée sur ses données de santé. Surtout, il y a eu toute une série de critères que nous avions définis avec le staff et lui. Il devait remplir toutes les cases, si j’ose dire, en termes de récupération physique, physiologique et sportive, avant de pouvoir être éligible. Tout ceci est resté top secret, parce que nous ne voulions aucune pression. C’est le travail phénoménal qu’il a réalisé en un temps record qui lui a permis de cocher toutes les cases. Après de nouvelles discussions avec le cercle des médecins impliqués, d’autres analyses, des tests divers, nous avons abouti à la conclusion qu’il pouvait revenir au jeu.

Simon Le Coultre est revenu au jeu le 24 mars, deux mois après l’ablation d’un rein.

Simon Le Coultre est revenu au jeu le 24 mars, deux mois après l’ablation d’un rein.

BASTIEN GALLAY / GALLAYPHOTO

Vous a-t-il bluffé?

C’est une très belle histoire, dont le mérite lui revient. Il est très bien entouré par sa famille, son amie, mais il a été exemplaire dans le cadre d’un processus très structuré.

Et pour vous, quel est l’impact des play-off sur votre vie?

C’est une période hyperintense, où on s’implique davantage auprès de l’équipe que pendant la saison régulière. Nous nous relayons à trois médecins pour effectuer tous les trajets, d’abord à Lugano puis maintenant à Zoug – et le lendemain on doit travailler, d’où le roulement. C’est une période très intense où, quand les joueurs vont se faire masser ou dormir, il y a encore tout un suivi médical à assurer à côté de notre pratique. On essaie de planifier et d’anticiper au mieux, mais l’histoire des play-off, c’est précisément qu’on ne sait jamais. Donc il faut beaucoup de flexibilité et d’implication.

«Pour moi, le hockeyeur représente intrinsèquement l’athlète complet de très haut niveau»

Pr Jacques Menetrey, médecin de Ge/Servette.

Comment résumeriez-vous en quelques phrases cet «animal hockeyeur», qui semble prêt à repousser les limites de la souffrance?

Le premier point, c’est que ce sont des gens en général très intelligents. Ils sont habitués à appliquer des schémas ou effectuer des gestes très complexes avec un temps de prise de décision extrêmement court. Avec plus ou moins de talent, ce sont des athlètes très techniques, dotés d’une fantastique coordination au niveau de la dissociation jambe-tronc ou de la connexion oeil-main. Physiquement, on est dans la haute intensité et l’intervalle, ce qui demande de la force, du volume, le tout dans un sport de glisse. Pour moi, le hockeyeur représente intrinsèquement l’athlète complet de très haut niveau.

Et le psychisme?

Soyons clairs: ce sont des durs à cuire, des gens qui apprennent dès le plus jeune âge à se faire respecter. Je vois des gens généralement très sympathiques et abordables. Dans le mental, les hockeyeurs font un peu penser aux rugbymen, mais avec la vitesse en plus. Leur pratique exige un engagement de tous les instants.

Finalement, ce sont des grands malades et ça tombe plutôt bien, non, Professeur?

(Il rigole) Alors il y a beaucoup de grands malades dans le monde, n’est-ce pas? Tous les gens qui donnent énormément d’eux-mêmes dans leur activité professionnelle ou dans un autre domaine répondent à cette définition-là.

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