EspagneLe long combat des «bébés volés» du franquisme
En Espagne, une loi très récente juge comme victimes du franquisme les enfants enlevés à leurs familles durant la Guerre civile et la dictature. Mais de nombreux «bébés volés» cherchent encore leurs parents naturels.
L’exhumation de celle qui devait être sa jumelle a levé ses derniers doutes. Les ADN ne correspondaient pas et Maria José Picó Robles devient alors certaine que cette sœur, qu’elle cherche toujours, est l’un des nombreux «bébés volés» sous le régime franquiste en Espagne. «C’était là», dit cette salariée dans le paramédical de 60 ans, les yeux larmoyants et la gorge nouée, en montrant la fosse commune du cimetière d’Alicante, où sa sœur était censée avoir été officiellement enterrée.
«On a dit à ma mère que ma sœur était morte deux jours après la naissance, en 1962. Elle n’a pas eu le droit de voir le corps et on ne l’a pas laissé assister à l’enterrement», raconte-t-elle. Il y a une dizaine d’années, lorsque les premières affaires de «bébés volés» ont éclaté dans le pays, Maria José et ses parents, saisis par le «doute» et «l’angoisse», se sont demandé s’ils n’étaient pas aussi victimes de ce scandale.
L’ADN comme principal espoir
Ils commencèrent alors à rassembler des documents, entachés d’irrégularités, avant de saisir la justice, qui ordonnera l’exhumation des ossements en 2013. Depuis, la sexagénaire, qui préside une association consacrée aux bébés volés, poursuit inlassablement ses recherches. Elle a laissé son ADN dans plusieurs banques génétiques et espère que sa sœur, prise d’un doute sur ses origines, aurait pu faire de même. «C’est l’ADN qui est notre espoir», explique-t-elle, priant pour «recevoir, un jour, un appel» d’un laboratoire.
Adopté définitivement mercredi par le Sénat, un texte phare du gouvernement de gauche reconnaît pour la première fois comme victimes du franquisme les bébés enlevés à leurs familles durant la Guerre civile (1936-1939) et la dictature (1939-1975). Durant la répression qui a suivi le conflit, ce vol institutionnalisé avait pour but de soustraire des enfants à des républicaines accusées de leur transmettre le «gène» du marxisme.
Mais il a ensuite touché, à partir des années 1950, des enfants nés hors mariage ou dans des familles pauvres ou nombreuses. Souvent grâce à la complicité de l’Église, ils étaient déclarés morts après l’accouchement, sans que l’on fournisse de preuves aux parents, puis adoptés par des couples ne parvenant pas à avoir de bébés et en général proches du régime «national-catholique» de Franco.
Après la mort du dictateur, en 1975, des trafics de bébés ont perduré, principalement pour des raisons financières, jusqu’en 1987 et une loi renforçant le contrôle de l’adoption.
Trente mille enfants en dix ans?
En Espagne, il n’y a aucune estimation officielle du nombre de bébés volés, mais les associations de victimes parlent de plusieurs milliers d’enfants concernés. La justice avait estimé, en 2008, que plus de 30’000 enfants de républicains morts ou faits prisonniers durant la Guerre civile, dont certains ont pu être «volés», ont été placés sous tutelle par l’État franquiste rien qu’entre 1944 et 1954. À ce sujet, 2136 plaintes ont été enregistrées en Espagne entre 2011 et 2019, mais aucune n’a abouti, principalement en raison de la prescription des faits.