Coupe du monde de skiZermatt outrepasse encore des nouvelles directives de l’État valaisan
Tandis que la météo a enterré tout espoir de course transfrontalière, les organisateurs ne respectent toujours pas la loi, qui leur a pourtant été précisée le 10 novembre. Du côté des autorités, on garde le silence.
- par
- Sébastien Anex
Les compétitions masculines ayant été annulées, il n’y aura plus aucune descente sur sol suisse cette année autour du Cervin. En effet, contrairement à ce qui avait été prévu par les organisateurs et la Fédération internationale de ski (FIS), le départ des courses des femmes, qui pourraient avoir lieu le week-end prochain, ne se situera plus en glaces valaisannes, mais a été abaissé en Italie. Serait-ce suite aux révélations de «20 minutes» qui montraient que la rampe de lancement programmée était en dehors de la zone dédiée au ski à Zermatt? La Commission cantonale des constructions (CCC) ne répond pas.
Par contre, la CCC ne partage pas le point de vue de Philippe Nantermod, l’avocat des organisateurs, pour qui les passages de dameuses hors des zones de ski ne représentaient pas des aménagements et n’étaient donc pas répréhensibles. En effet, la CCC nous a signifié ceci le vendredi 10 novembre: «suite au constat que des véhicules à chenille se déplaçaient toujours dans la zone concernée par l’interdiction, nous sommes à nouveau intervenus auprès des organisateurs afin de leur rappeler le contenu de notre décision et préciser qu’elle valait également pour le passage des machines en dehors du domaine skiable.»
Un ratrak encore hors zone ce week-end
Les promoteurs des courses semblent toutefois se moquer des injonctions de la CCC, puisque pas plus tard que samedi, un ratrak évoluait à nouveau dans le périmètre interdit, selon les images des webcams de Testa Grigia. L’Office fédéral de l’aménagement du territoire (ARE) abonde dans le sens de la CCC. Samuel Nussbaumer, juriste de l’ARE précise: «nous partons du principe qu’en cas de litige, l’utilisation de dameuses sur un glacier serait très probablement considérée comme une intervention soumise à autorisation de construire en vertu du droit fédéral.» Et la CCC n’en a pas donné sur la langue glaciaire de l’éventré Théodule, en l’occurrence. Contacté, Philippe Nantermod s’abstient de tout commentaire sur les nouveaux éléments.
La communication troublante de la CCC
Du côté des autorités valaisannes, un flou certain règne. Alors que la CCC communiquait le 24 octobre «qu’à la lecture du plan de la piste de descente prévue, il avait été constaté qu’une partie des installations empiétait, sur une très faible surface, hors du domaine skiable homologué sur territoire suisse» et prononçait une interdiction d’utilisation de cet espace, elle clamait ensuite le 2 novembre que «la piste initialement projetée par les organisateurs se situait entièrement sur le domaine skiable.»
À la question de ce qui semble être des écrits contradictoires, la CCC articule que son premier avis venait du fait qu’elle n’avait pu se baser initialement que sur «des éléments transmis par les différents acteurs dans le cadre de la procédure, qui manquaient de précision.» Comment la CCC a-t-elle alors pu prononcer une «interdiction immédiate d’utiliser des installations» sur la base d’informations imprécises le 24 octobre? Aucune réponse de la CCC.
D’après les documents en nos mains, il semblerait toutefois que les plans de piste transmis à la CCC se sont révélés de plus en plus détaillés en cours de procédure, allant jusqu’à chiffrer au mètre carré près à la fin du mois d’octobre la surface qui se situait hors zone selon les plans (166 m2). Qui plus est, selon une cartographie des organisateurs datant de mars 2021, une portion de la piste bien plus importante se situait déjà en dehors du domaine skiable.
Des aménagements illégaux ignorés par la CCC
Il apparaît finalement que ce ne sont pas 166 m2 de piste qui ont été aménagés illégalement, mais 153 fois plus selon les géomètres mandatés par la CCC (25’530 m2). Une surface que la CCC n’a jamais qualifiée dans sa communication au contraire de la première dite «très faible» et une aire qui ne comporte étrangement pas tous les aménagements réalisés hors zone.
Exemple: l’impressionnante tranchée de glace creusée pour le départ des femmes n’est pas du tout considérée par les spécialistes de la CCC, qui, au demeurant, décalent mystérieusement le plan de piste des organisateurs entièrement dans la zone ski sur leur carte. Ceci explique en partie pourquoi nos relevés des aménagements contraires au droit sont encore plus importants (plus de 30’000m2).
Silence du Conseil d’État
Est-ce que la piste réalisée suite à l’interdiction de la CCC était bien dans la zone ski? Du côté du Conseil d’État, le silence est de mise quant à nos questions: «l’État du Valais ne se prononce pas sur ce dossier qui relève de la CCC. Notre autorité n’a pas d’indice nécessitant une intervention en qualité d’autorité de surveillance.»
Si l’État ne nous répond pas, il sera toutefois très rapidement sous le feu des interrogations de plusieurs parlementaires valaisans au sujet du cas Zermatt lors de la prochaine session qui débute ce mardi 14 novembre. Aude Rapin, parlementaire socialiste et avocate, s’interroge notamment «sur le bon fonctionnement des institutions: il y a un intérêt public à être clair sur la communication et de nombreux points méritent d’être éclaircis.»
«Un sacrifice de l’avenir pour une brève compétition»
Le glaciologue Matthias Huss a affirmé au micro de Mise au Point que les travaux n’étaient pas mauvais pour le glacier au vu d’un impact très local comparé au changement climatique. Pourtant, la Société de glaciologie italienne exprime, elle, dans un communiqué son désarroi face à ce qu’elle considère comme «un sacrifice de l’avenir pour une brève compétition.» Selon les scientifiques transalpins, les travaux sont en opposition avec la conservation de la cryosphère et la survie du glacier.
«Ce qui est arrivé au Théodule est quelque chose de dévastateur à la fois pour la glace elle-même et pour les écosystèmes que ce glacier entretient. L’exploitation aveugle de ressources stratégiques telles que les glaciers accélérera l’impact néfaste des gaz à effet de serre et les communautés montagnardes seront les premières touchées. L’industrie du ski utilise ici la glace comme une ressource, mais une ressource qui n’est pas renouvelable avec la crise climatique actuelle.»
Des travaux encore plus lourds en 2022?
Les images de la préparation de la piste tournées en 2023 par «20 minutes» ont fait le tour du monde. Néanmoins, une vidéo laisse penser que les travaux de 2022 ont été encore plus conséquents en Italie. Les organisateurs ont-ils pu bénéficier ces derniers mois des coups de pelleteuses déjà donnés il y a un an?
Le règlement de la Fédération internationale de ski (FIS) pose une autre question. Est-ce qu’une application à la lettre permet de modifier massivement la structure glaciaire? Dans la rubrique des «prescriptions spéciales pour l’aménagement de la piste», on lit en effet que «la topographie doit être conservée à son état naturel.» Interrogée, la FIS ne voit pas de problème et lie cette phrase au fait que «l’ensemble de la piste ne doit pas nécessairement être skiable à pleine vitesse», soit les mots qui précèdent dans ses règles. «Les parcours des descentes entre Zermatt et Cervinia répondent pleinement aux réglementations de la FIS» précise la porte-parole Jenny Wiedeke.