PortugalDu jour au lendemain, son loyer a été multiplié par vingt
Le Portugal est touché par une sérieuse crise du logement, à tel point que de nombreuses personnes ont manifesté samedi. À Lisbonne, des locataires ne savent bientôt plus où habiter.
«On a peur d’être mis à la rue à tout moment!» Habitant Lisbonne, Alcina Lourenço, est touchée par la crise du logement que le gouvernement portugais peine à enrayer, malgré la série de mesures annoncées récemment. Jugeant comme elle que l’action de l’exécutif socialiste est trop timide, des milliers de personnes ont défilé, samedi après-midi, dans les rues de Lisbonne, ainsi que dans une vingtaine d’autres villes, pour réclamer des mesures face à la crise du logement qui touche principalement les grands centres urbains.
«Stop!» «Aide», «des maisons pour vivre», pouvait-on lire sur les pancartes des milliers de manifestants qui ont défilé dans une grande avenue, qui traverse les quartiers populaires de la capitale portugaise, à l’appel d’une centaine d’associations.
«Lisbonne est devenue une ville pour les étrangers»
«Lisbonne est devenue une ville pour les étrangers, les Portugais ne peuvent plus y vivre», dénonce Marta Saraiva, une jeune Lisboète de 27 ans qui juge l’action du gouvernement socialiste insuffisante pour faire face à la crise du logement, malgré une série de mesures annoncées récemment.
Du jour au lendemain, cette Lisboète de 49 ans a vu son loyer multiplié par 20, passant de 30 à 600 euros. Incapable d’y faire face, elle a été priée de quitter son appartement situé dans un quartier du centre de Lisbonne, où elle vit depuis l’âge de 6 ans. «Je ne sais pas où aller!» soupire cette femme, qui s’occupe de son père de 89 ans en fauteuil roulant et de son mari de 61 ans, atteint d’un cancer.
Le coût du logement a progressé de 78 pour cent
La crise du logement couve depuis que le Portugal, menacé de banqueroute, a fait appel, en 2011, à une aide financière internationale. Pour renflouer ses caisses et satisfaire aux exigences de ses créanciers, le pays s’est alors ouvert aux capitaux étrangers, grâce à une série de mesures telles que les «visas dorés» – des permis de séjour accordés à des riches investisseurs – ou des avantages fiscaux pour les retraités étrangers et les «nomades numériques».
Ces investisseurs ont largement contribué à la dynamisation du marché immobilier et à la rénovation des grandes villes, qui ont vu se proliférer les logements touristiques de courte durée, en réponse à l’afflux de vacanciers. Entre 2012 et 2021, le coût du logement a progressé de 78% au Portugal, contre 35% dans l’ensemble de l’Union européenne, selon une étude de la Fondation portugaise Francisco Manuel dos Santos.
Au deuxième trimestre 2023, le loyer médian a encore bondi de 11% en glissement annuel, d’après des données officielles publiées cette semaine.
Marché «déséquilibré»
L’arrivée des investisseurs étrangers a «déséquilibré le marché», en creusant l’écart «entre les salaires et les prix des logements», alors que près d’un quart des actifs portugais vivent avec un salaire minimum mensuel de 886 euros (un peu moins de 860 francs au change actuel), commente Agustín Cocola-Gant, chercheur à l’Institut de géographie et d’aménagement du territoire de l’Université de Lisbonne.
La hausse des taux d’intérêt décidée par la Banque centrale européenne (BCE), en réponse à la crise inflationniste, a rendu la situation encore plus dramatique dans un pays où 87% des détenteurs de prêts immobiliers sont soumis à des taux variables.
«Ma mensualité est passée de 400 à 647 euros» (de 387 à 627 francs), raconte Claudia Martins, une professeure de 40 ans qui habite seule dans la banlieue nord de la capitale portugaise. Elle avait choisi d’emprunter pour s’acheter un appartement en 2021, car cela lui avait permis de réduire considérablement son budget logement. «Aujourd’hui, je survis!» se lamente désormais cette femme, qui a dû se résoudre à chercher un deuxième emploi.
Un train de mesures décrié
Pour venir en aide à près d’un million de familles, le gouvernement a décidé, la semaine dernière, de permettre aux emprunteurs de bénéficier d’un taux réduit pendant deux ans. Ce dispositif s’ajoute au train de mesures présenté en mars, visant à freiner la flambée des prix, qui prévoit notamment la fin des «visas dorés» ou la location obligatoire d’appartements vacants depuis plus de deux ans dans les régions les plus peuplées.
Mais ce programme est loin de faire l’unanimité. Après le veto opposé, en août, par le président, la majorité socialiste au Parlement l’a revoté la semaine dernière, malgré des critiques de gauche comme de droite. «Le gouvernement n’a pas le courage nécessaire pour réguler le marché» et insiste sur «des mesures qui n’auront aucun effet», regrette Rita Silva, une militante de l’association pour le droit au logement Habita, une des organisatrices des manifestations de samedi.