Guerre en UkraineLa fracture s’élargit entre l’Occident et les pays émergents
De Lula au président sud-africain Cyril Ramaphosa, en passant par la Turquie, de très nombreux pays ne sont pas alignés sur la position occidentale de soutien indéfectible à Kiev.
Lula préconise des négociations en Ukraine sous l’égide chinoise, alors que le G7 menace les pays qui soutiendraient la Russie: la fracture s’élargit entre l’Occident, en rangs serrés derrière Kiev, et le reste du monde, plus souple avec Moscou.
Différence de perception flagrante
«65% de la population mondiale vit dans des pays neutres ou penchant vers la Russie», rappellait début avril The Economist Intelligence Unit (EIU), unité de recherche de l’hebdomadaire britannique The Economist. «Parmi les pays en voie de développement il y a souvent soit de la neutralité, soit du soutien à la Russie, et c’est un élément qui est mal pris en compte par les démocraties occidentales», résume Agathe Demarais, directrice de la prévision de l’EIU.
Et plus la guerre avance, plus cette différence de perception est flagrante. Les pays non occidentaux, pour qui la guerre en Ukraine est une crise parmi d’autres, appellent beaucoup plus à une négociation de paix rapide, même si l’Ukraine n’a pas récupéré son territoire. «Les pays non occidentaux s’intéressent de plus en plus aux options de paix», estimait début mars Richard Gowan, de l’ONG Crisis Group.
Dimanche soir, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva a accusé «l’Europe et les Etats-Unis» de «contribuer à la poursuite de la guerre. Alors ils doivent s’asseoir autour de la table et dire: «Ça suffit»». Il a plaidé pour une initiative de paix avec les Emirats arabes unis et la Chine.
«Tout simplement malavisés»
«Propagande russe et chinoise», a cinglé Washington. «Les récents commentaires du Brésil» sur l’Ukraine «sont tout simplement malavisés», a jugé John Kirby, un haut responsable américain. Quelques heures après, l’ordre occidental multilatéral, matérialisé par les ministres des Affaires étrangères du G7, condamnait «la guerre d’agression menée par la Russie». «Nous appelons à nouveau les tierces parties à cesser leur aide à la guerre menée par la Russie, si elles ne veulent pas s’exposer à des coûts sévères», a menacé le G7.
De Lula au président sud-africain Cyril Ramaphosa, qui estime que l’OTAN est en partie responsable de la guerre, en passant par la Turquie, membre de l’Alliance atlantique mais qui sert de plateforme au contournement des sanctions occidentales, de très nombreux pays ne sont pas alignés sur la position occidentale. «La Turquie est récemment devenue un très gros exportateur de semi-conducteurs», grinçait cette semaine un haut responsable européen sous couvert d’anonymat, en référence aux stratégies pour fournir Moscou.
«Une désacralisation de l’Occident»
«Parmi les pays utilisés pour contourner les sanctions, on trouve notamment la Turquie, les Emirats, la Serbie et le Kazakhstan», rappelle Mme Demarais. «Qu’on l’appelle Sud global, reste du monde, majorité du monde, il y a de leur part une désacralisation de l’Occident», analysait récemment le diplomate français Michel Duclos. «Les puissances émergentes ne détestent pas les zones d’influence. Pour elles, un Yalta où il y aurait la Chine, l’Inde, la Russie et les Etats-Unis serait acceptable», rappelle-t-il.
Washington, Bruxelles et leurs alliés soulignent les votes condamnant l’agression russe aux Nations unies pour affirmer que leur position est majoritaire. Mais il faut aller plus loin et «regarder qui impose des sanctions, les déclarations officielles et les liens économiques, politiques et historiques» pour se faire une idée juste du rapport de force, estime l’EIU.