FootballSur un Servette Chênois coloré, des regards mélangés
Les Genevoises ont remporté la Coupe de Suisse, fait vivre une de leurs traditions préférées et mis en évidence un clivage dans le public. Tout ça en un samedi devenu historique pour elles.
- par
- Florian Vaney
À force d’appréhender petits et grands succès, bonheurs d’un soir ou pour l’histoire, une tradition s’est mise en place à Servette Chênois. Rien d’unique, sans doute, mais c’est égal. Avant d’entamer la route de Zurich vendredi, Inès Pereira avait pris soin de glisser un drapeau du Portugal dans son sac, avec lequel elle a fini par entourer sa taille lorsque l’heure de gloire a sonné. Laura Felber a récupéré un étendard genevois. Elodie Nakkach et Imane Saoud ont arboré celui du Maroc. Et toutes ces couleurs ont fini par se mélanger sous les gouttes de champagne. Comme un symbole de ce Servette ouvert sur l’international. Ce qui lui a valu son lot de critiques, notamment des clubs les plus attachés à la formation locale, mais qui lui offre un large pendant positif. À commencer par cette Coupe de Suisse prête à garnir son armoire à trophées.
«C’est important pour nous en tant qu’équipe. Individuellement aussi. Ça montre à la Suisse que, dans nos pays, on joue également bien au football et on forme de bonnes joueuses», lançait la très authentique gardienne portugaise de Servette, une fois Saint-Gall terrassé en finale (1-0).
Son attachement à sa patrie, c’est une chose. Mais Inès Pereira, c’est avant tout un goût certain pour la comédie. Rien de péjoratif là-dedans, mais cela saute aux yeux: dans ses prises de balles aériennes, dans ses mouvements amples, dans sa manière de déstabiliser l’adversaire. Tout respire à la fois le football pris au sérieux et le théâtre. Les sifflets du public lorsqu’elle remercie l’arbitre d’un pouce levé de l’avoir avertie pour un gain de temps un peu trop grossier, elle les absorbe. «Oui, je crois que j’adore ce genre d’atmosphère», convenait-elle.
Pas à pas vers la croisée des chemins
Forte de cette personnalité qui ne laisse personne indifférent, la Lusitanienne s’est retrouvée au centre d’une curiosité samedi soir. Il y avait, dans ce Letzigrund pris d’assaut par les Saint-Gallois (5700 spectateurs, très peu de Genevois), comme deux courants. Celui porté par un public qu’on peut imaginer occasionnel, enclin à s’enthousiasmer pour l’événement en lui-même dans une ambiance parfaitement sportive. Et puis celui, plus rare autour des matches féminins, amené par certains supporters visiblement mordus du FC Saint-Gall et sans doute de son équipe masculine.
Ainsi, à l’heure de la remise des prix, le quatuor arbitral s’est retrouvé à aller chercher ses médailles sous un mélange d’applaudissements (le premier courant), de sifflets et de gestes peu flatteurs (le second). Puis est arrivé le tour de Natalia Padilla, l’unique buteuse du match, saluée par des huées et des félicitations. Puis celui d’Inès Pereira, livrée au même sort.
La première chose à remarquer, c’est que les deux femmes ont volontiers usé de codes nettement plus fréquents dans le football masculin que féminin durant la rencontre. L’attaquante a célébré son but en venant «éteindre» les plus bruyants fans saint-gallois d’un doigt sur la bouche. La gardienne ne s’est pas gênée pour jouer la pendule durant les dernières minutes. Faut-il considérer que la partie du public la plus habituée à ces attitudes les a sanctionnés de la réponse «habituelle» dans ces cas-là? Peut-être. Face à ces scènes, demeure l’observation que le football féminin pourrait être en train de se rapprocher de la croisée des chemins. Son indépendance et son identité d’un côté, le miroir de son homologue masculin de l’autre.