États-UnisLa loi anti-avortement du Texas devant la Cour suprême
Dès lundi, la Cour suprême examinera en urgence la loi du Texas. Elle a accepté deux recours: un du gouvernement de Joe Biden et un autre des organisations de planning familial.
Deux mois après son refus d’intervenir, la Cour suprême des États-Unis examine lundi en urgence une loi du Texas qui interdit une majorité des avortements, même en cas d’inceste ou de viol. Ses neuf magistrats, dont six conservateurs, questionneront pendant deux heures les parties impliquées dans ce dossier aux lourdes conséquences humaines et politiques.
Le temple du droit américain a accepté deux recours distincts, portés par le gouvernement du président démocrate Joe Biden et par des organisations de planning familial, qui lui demandent de bloquer une loi «clairement inconstitutionnelle».
Le texte, adopté en mai par les élus républicains de ce vaste État du Sud, interdit les avortements dès que les battements de cœur de l’embryon sont détectables, soit vers six semaines de grossesse, quand les femmes ignorent souvent être enceintes. Il prévoit une seule exception, en cas d’urgence médicale.
Appliquée par les citoyens
Plusieurs États conservateurs ont adopté des lois comparables, mais elles ont toutes été bloquées en justice parce qu’elles violent la jurisprudence de la Cour suprême. Celle-ci a reconnu en 1973 le droit des femmes à avorter et précisé qu’il s’applique tant que le fœtus n’est pas viable soit vers 22 semaines de grossesse.
La loi du Texas comporte toutefois un dispositif unique: son application est confiée «exclusivement» aux citoyens. Ils sont encouragés à porter plainte contre toute personne ou organisation aidant une femme à avorter illégalement, contre une promesse de dédommagements d’au moins 10’000 dollars (plus de 9000 francs), en cas de condamnation.
Ce mécanisme complique l’intervention de la justice fédérale car la Constitution limite «les circonstances dans lesquelles il est possible de poursuivre un État», rappelle Mary Ziegler, professeure de droit et experte des batailles légales autour de l’avortement. «La Cour suprême a créé une exception, qui permet d’empêcher un représentant officiel d’un État d’appliquer une loi anticonstitutionnelle», explique-t-elle à l’AFP. «Mais la loi du Texas n’implique aucun officiel» si bien que les plaignants n’ont personne contre qui agir en justice.
Saisie une première fois le 1er septembre pour empêcher la loi d’entrer en vigueur, la Cour suprême avait évoqué ces «questions nouvelles de procédure» pour refuser d’intervenir. Cette position avait suscité un tollé à gauche. Elle «provoque le chaos» et «insulte l’État de droit», avait notamment tempêté le président Biden.
Sur le terrain, les cliniques, craignant une avalanche de poursuites onéreuses, se plient depuis au nouveau cadre légal, si bien que le nombre d’avortements a diminué de moitié, passant à environ 2100 en septembre contre 4300 sur la même période un an plus tôt, selon une étude de l’Université du Texas.
Focus sur les questions de procédure
Pour rappeler les enjeux humains du dossier, l’organisation Planned Parenthood a adressé à la Cour trente pages de témoignages de patientes et de médecins affectés par la loi. Une adolescente de seize ans, pas sûre de pouvoir sortir de l’État, porte «l’angoisse sur son visage», une mère célibataire qui vient de mettre un terme à une relation abusive est «en colère et très triste» de ne pouvoir avorter au Texas, des employés «pleurent après chaque patiente qu’ils refusent»…
Lors de l’audience, les magistrats devraient toutefois se consacrer uniquement aux questions de procédures. Leur décision pourra tomber n’importe quand. Il y a au moins quatre juges prêts à bloquer la loi: les trois progressistes et le chef de la Cour John Roberts qui l’avaient écrit le 1er septembre. «La question est de savoir s’il y aura un cinquième vote» pour faire basculer la majorité, a noté Steve Vladeck, professeur de droit au Texas, dans le podcast Y’all’itics.
Les organisations de planning familial affichent un optimisme prudent. «Nous sommes confiants dans le fait que la Cour (…) rejette la manœuvre cynique du Texas», a déclaré Amy Hagstrom Miller, présidente de Whole Woman’s Health. «On espère que la Cour bloque» la loi, a ajouté Alexis McGill Johnson du Planned Parenthood. Même si la Cour siffle la fin de la partie au Texas, «cela ne changera pas le fait qu’elle va probablement» revenir en arrière sur le droit à l’avortement dans un autre dossier, selon Mary Ziegler.
La haute juridiction a accepté d’examiner le 1er décembre une loi du Mississippi qui interdit d’avorter après 15 semaines de grossesse. «Ce dossier est celui que les juges de la Cour ont choisi pour démanteler» leur jurisprudence, «celui du Texas est une distraction qui leur a été imposée par les conservateurs de cet État», estime l’experte. Pour Steve Vladeck, cela pourrait même servir son image: «Si les juges bloquent la loi du Texas mais valident celle du Mississippi, tout le monde sera fâché et ils pourront dire qu’ils ne sont pas partisans».
Pas de loi fédérale
En l’absence de loi fédérale, la Cour suprême des États-Unis a déclaré en 1973 dans son arrêt «Roe v. Wade» que la Constitution garantissait le droit des femmes à interrompre une grossesse, faisant tomber les interdictions alors en vigueur dans plusieurs États.
Ce droit existe tant que le fœtus n’est pas viable, soit vers 22 semaines de grossesse, a précisé la Cour en 1992, allant au-delà de la limite de douze semaines fréquemment retenue dans le reste du monde. Les États conservent le droit de légiférer pour protéger la santé des femmes, tant qu’ils ne leur infligent pas «un fardeau injustifié», a-t-elle ajouté à cette occasion.