États-UnisLes vignerons de Napa Valley investissent pour se protéger des feux
Face à la récurrence des incendies en Californie et conscients que les pompiers ne peuvent pas être partout, des vignerons de Napa Valley s’équipent et apprennent comment lutter contre les incendies eux-mêmes.
Citernes, camions de pompiers, hélicoptères: les vignerons de la riche Napa Valley, en Californie, investissent substantiellement pour se protéger des feux de forêt qui menacent leurs propriétés et transforment leurs grands crus en piquette.
«Les pompiers ne peuvent pas être partout au même moment. On le voit bien ici et partout en Californie. Je crois fermement que si on a ses propres équipements et qu’on reste sur place, alors on a une chance. Si on part, cette chance devient minime», raconte Randy Dunn, qui a fondé son vignoble en 1979.
L’agriculteur avait déjà un camion de pompiers de 1946 – vintage, mais fonctionnel – et il vient d’en acquérir un autre, plus récent. La sirène a rendu l’âme mais le jet d’eau marche très bien, et il assure qu’il saurait parfaitement s’en servir si jamais le feu prenait sur sa propriété.
Il n’est pas passé loin il y a un an, quand le brasier nommé «Glass Fire» a brûlé plus de 27’000 hectares dans les comtés de Napa et de Sonoma, au nord de San Francisco. Plusieurs vignobles ont été réduits à néant. «Il était à un peu plus d’un kilomètre d’ici», se souvient Randy Dunn, en désignant les montagnes à l’ouest, au-delà des vignes, où des pins déplumés tentent de survivre à la sécheresse.
«Vous ressentez… tout à la fois», continue-t-il, visiblement ému. «Mais vous êtes dans l’adrénaline, vous vous démenez. J’ai passé beaucoup de temps à aider les pompiers.»
Volonté de prendre les choses en main
Les incendies sont devenus tellement récurrents en Californie que dans tout l’État américain, des zones rurales aux banlieues en bordure des forêts, la population retient son souffle à l’approche de la «saison des feux», en se demandant où le vent va porter les inévitables braises.
Les vignerons de Napa, traumatisés, ont décidé de prendre les choses en main, à coups de bulldozers pour créer des pare-feux, de pompes et de réservoirs toujours plus conséquents. Certains grands établissements ont même payé des formations à leurs employés pour qu’ils acquièrent les réflexes de base de la lutte anti-incendie.
Randy Dunn a dépensé plusieurs dizaines de milliers de dollars pour faire débroussailler la forêt autour de son domaine et acheter son deuxième camion de pompiers. Une goutte d’eau par rapport au coût de l’assurance: 500’000 dollars (456’784 francs) cette année, cinq fois plus que l’année dernière.
Un moyen de se rassurer
Ces équipements rendent le domaine «défendable», selon Mike Dunn, son fils, qui gère l’exploitation. «Cela nous rassure un peu. Si des braises tombent par ici, on peut les éteindre. Mais va-t-on aller éteindre des feux un peu partout? Certainement pas!»
La famille Dunn dispose de 17 hectares de vignes et produit chaque année plusieurs dizaines de milliers de bouteilles de Cabernet Sauvignon, commercialisées entre 85 et 140 dollars à l’unité (entre 77 et 127 francs).
L’année dernière, le vin au goût de fumée a été écoulé pour l’équivalent de 6 dollars la bouteille (près de 5.50 francs) En tout, les dommages se sont élevés à 2 milliards de dollars (plus de 1,8 milliard de francs) pour la Napa Valley, d’après une association de vignerons.
Un «mode de vie menacé»
«Les deux évacuations en 2020, la proximité du feu et notre millésime complètement ruiné… C’est vraiment terrifiant. C’est notre mode de vie qui est menacé», continue Mike Dunn, conscient que le changement climatique et les sécheresses répétées ne présagent pas d’un futur radieux. Comme d’autres, il a été choqué par le temps nécessaire pour envoyer des renforts aériens, quand les pompiers se battaient sur plusieurs fronts.
Son père a bien tenté de lever des fonds pour avoir des avions bombardiers d’eau à disposition dans le comté. Et son voisin Michael Rogerson, patron d’une entreprise d’électronique pour avions, a proposé deux hélicoptères militaires réaménagés pour la lutte anti-incendie. Mais le comté a refusé la proposition de Randy Dunn, jugée non adaptée aux besoins. Il vient en revanche de passer un accord avec les pompiers pour qu’un hélicoptère soit stationné sur place, prêt à intervenir rapidement.
«Les gens veulent en faire plus pour protéger leur patrimoine. C’est bien, mais nous devons nous assurer que tous ces efforts soient coordonnés», souligne Alfredo Pedroza, le président du comté. Son conseil a aussi approuvé trois caméras high-tech de détection des feux, alors que plus de 7000 km2 de végétation ont déjà brûlé dans l’ouest des Etats-Unis cette année – le double de la moyenne à cette période.
À deux semaines du début des récoltes, Randy Dunn espère qu’il n’aura pas à se servir de ses beaux camions rouges autrement que pour les fêtes d’anniversaire de ses petits-enfants.
Version originale publiée sur 20min.ch