Session à BerneDon d’organes: les Etats misent aussi sur le consentement présumé
Les sénateurs ont largement approuvé lundi le contre-projet à l’initiative «Pour sauver des vies en favorisant le don d’organes». Ils ont refusé en revanche l’initiative elle-même. Mais les initiants devraient être satisfaits.
- par
- Christine Talos
Les Suisses n’auront peut-être pas à se prononcer sur l’initiative populaire «Pour sauver des vies en favorisant le don d’organes». En effet, comme le National, le Conseil des États a approuvé lundi par 31 voix contre 12 le contre-projet du Conseil fédéral au texte lancé en 2019 par la Jeune Chambre Internationale (JCI) Riviera. Mais contrairement à la Chambre du peuple, les sénateurs ont refusé tacitement l’initiative elle-même. Néanmoins, les initiants devraient sans doute retirer leur texte, une fois les quelques divergences entre les Chambres éliminées. C’est du moins ce qu’ils avaient annoncé si le consentement présumé au sens large proposé par le Conseil fédéral était validé. Ce qui est désormais le cas.
Pour rappel trois modèles s’opposaient dans ce débat. Le premier, celui appliqué actuellement en Suisse, est basé sur le «consentement explicite». Le don d’organe n’est possible que si la personne y a consenti avant sa mort. Si la personne n’a pas exprimé sa volonté, ses proches sont alors consultés. Le 2e modèle, celui de l’initiative, propose d’introduire dans la Constitution le «consentement présumé au sens strict». Il implique que toute personne qui ne s’est pas déclarée opposée au don d’organe est considérée comme donneuse. Le 3e modèle, celui du Conseil fédéral, proposait quant à lui le «consentement présumé au sens large». Il reprenait le texte de l’initiative, tout en permettant aux proches de s’opposer au prélèvement en l’absence d’un document attestant de la volonté du défunt. Il prévoyait aussi un registre pour que chacun puisse y inscrire son refus de donner ses organes.
«Une question de vie ou de mort»
Le sénateur Paul Rechsteiner (PS/SG), au nom de la majorité de la commission favorable au contre-projet, l’a annoncé d’emblée: «le don d’organes est une question fondamentale tant pour les donneurs que pour les receveurs potentiels. D’une part, il s’agit de garantir la dignité humaine, le droit à l’intégrité personnelle et l’identité du défunt, ainsi que les droits des proches. D’autre part, pour les personnes en attente d’un organe, c’est une question de vie ou de mort». Cependant, a-t-il ajouté, «le nombre de personnes en attente d’un organe dépasse largement le nombre de donneurs». En effet, fin 2020, quelque 1500 personnes étaient en attente d’un organe. Et 72 personnes inscrites sur la liste d’attente sont décédées faute d’avoir pu trouver un donneur à temps.
Avec le passage à la solution du consentement présumé, la Suisse suit une tendance européenne, puisque de plus en plus de pays l’ont adopté, à l’image de la France, de l’Italie ou de l’Autriche, a encore relevé Paul Rechsteiner. Et la majorité de la commission est d’avis que le nombre de donneurs augmenterait, comme il a augmenté dans les pays qui ont adopté cette solution, a-t-il expliqué. D’autant que des enquêtes ont montré qu’une majorité de la population suisse est favorable au don d’organes, a-t-il ajouté.
Des propos corroborés par le ministre de la Santé Alain Berset. «Il existe un fossé entre la volonté personnelle de donner un organe et le taux réel de dons. Quelque 50 à 80% des Suisses sont favorables au don mais seuls 16% des gens ont une carte de donneur», a-t-il expliqué. Or avec la situation actuelle, en cas d’urgence, c’est aux proches qu’est posée la question difficile du don d’organe du défunt, alors qu’ils sont en pleine détresse émotionnelle, souligne le Fribourgeois. Pas étonnant, dès lors, que le taux de refus à ce moment-là est de 55%, a-t-il souligné.
«Donneur contre sa volonté»
Une minorité de la commission, emmenée par le PLR Josef Dittli, a refusé tout net tant le contre-projet que l’initiative. «Tous deux entraînent un changement de paradigme fondamental et font qu’une personne qui ne refuse pas explicitement dans un registre le don d’organe est considérée comme un donneur potentiel. Cela se rapproche dangereusement d’une obligation de don», a-t-il argumenté. « C'est une limitation de la liberté individuelle», a-t-il estimé.
Le sénateur uranais tique sur le terme de «consentement éclairé». Pour lui, les Suisses ne peuvent donner un tel consentement et inscrire ou non leur volonté sur un registre sans une énorme campagne d’information de la Confédération. «Or il ne sera guère possible d’atteindre et d’informer tous les habitants du pays de manière à ce que chacun puisse être considéré comme pleinement informé. En d’autres termes, la solution du consentement admet qu’une personne mourante puisse être considérée comme donneuse d’organes contre sa volonté puisqu’elle ne sait pas qu’elle devait refuser explicitement tout prélèvement».
Il faut respecter la dignité de la personne également au moment de la mort, a estimé également Hannes Germann (UDC/SH). Le sénateur indépendant Thomas Minder a eu lui des mots très durs sur le contre-projet: «Nous sommes sur le point d’introduire un droit étatique au prélèvement d’organes pour des tiers inconnus dans le cas de personnes "à demi-mortes" et sans leur consentement», a-t-il lancé.
Solution très prudente
Alain Berset a défendu le contre-projet du Conseil fédéral. Pour lui, la solution choisie est extrêmement prudente. «S’il n’y a pas d’expression de la volonté du mourant et qu’aucun proche n’est joignable, le don d’organes n’est pas autorisé», a-t-il rappelé. «On aurait pu partir de l’idée que c’est le consentement présumé qui s’applique si personne n’est là et qu’il n’y a pas d’expression préalable de la volonté. Mais non, la prudence s’impose et c’est une interdiction de prélever les organes qui prévaut si personne n’est joignable», a-t-il plaidé.
Les sénateurs ont en outre refusé de suivre leur commission qui proposait que la tenue du registre des déclarations relatives au don d’organes et de tissus soit assurée par la Confédération. Ils ont préféré la proposition de la minorité, emmenée par Johanna Gapany (PLR/FR), de confier comme aujourd’hui cette tâche à Swisstransplant, le service national des attributions. «Revenir en arrière n’a pas de sens. Ce service existe, il fonctionne bien et c’est le moyen plus simple et efficace pour garantir le don d’organes». La sénatrice craignait les lenteurs administratives et légales pour transférer les 122’000 donneurs inscrits dans un nouveau registre.
Le dossier retourne au Conseil national.