Costa RicaLes exilés nicaraguayens attendent le «retour de la démocratie»
Des dizaines de milliers de nicaraguayens ont fui le pays et la répression du président Daniel Ortega. Ils attendent de pouvoir retourner dans leur pays, sans placer de grands espoirs sur les élections de dimanche.
Ils sont des dizaines de milliers à avoir quitté le Nicaragua après la sanglante répression des manifestations du printemps 2018 contre le président Daniel Ortega. En majorité, ils ont trouvé refuge au Costa Rica voisin, où ils attendent le «retour de la démocratie» dans leur pays.
«L’assassinat du peuple»
Le soldat Erick Nicaragua, c’est son nom, a refusé de participer à la répression des manifestants qui a fait plus de 300 morts. Menacé d’être arrêté, il a fui clandestinement le pays le 3 août 2018, suivi un mois plus tard par son épouse Amanda et leurs deux enfants. «Il faut chercher une sortie négociée» de Daniel Ortega du pouvoir, il n’y a pas d’autre issue», juge cet ancien plongeur des forces spéciales nicaraguayennes, âgé de 35 ans.
Mais, de dialogue, il n’y en a pas: Daniel Ortega, au pouvoir depuis 2007, a rompu les négociations avec l’opposition et ses rivaux les plus menaçants pour la présidentielle de dimanche ont été arrêtés. Depuis 2018, les autorités migratoires du Costa Rica ont enregistré 103’500 demandes d’asile politique de la part de Nicaraguayens. Toutes les couches de la population sont représentées: militants politiques, journalistes, leaders paysans, étudiants... et le soldat Nicaragua.
«Je ne voulais pas me prêter à l’assassinat du peuple» en réprimant les manifestations, «ils m’ont dit clairement que j’étais devenu une cible», se souvient celui qui a participé aux protestations à Masaya (ouest) d’où il est originaire. «Comme j’avais une expérience militaire, j’ai commencé à apporter mon aide en expliquant aux jeunes sans expérience comment se protéger. A partir de ce moment-là j’ai été harcelé constamment. Les paramilitaires ont fait irruption dans ma maison, ils ont tout cassé. Ils ont été jusqu’à mettre du verre brisé dans les lits des enfants», affirme-t-il. Son épouse, Amanda, 34 ans, dit avoir vu «des jeunes mourir d’une balle dans la tête ou dans la nuque. J’ai été témoin de beaucoup d’injustice et je me suis sentie impuissante». Aujourd’hui en exil, la famille vit dans une masure de planches dans un quartier pauvre de San José, la capitale du Costa Rica. Le couple a eu ici son troisième enfant, qui sera costaricien. Erick travaille comme gardien de nuit, Amanda vend du pinolillo, une boisson typiquement nicaraguayenne.
«Les premiers traîtres des idéaux»
Le musicien et chanteur Luis Enrique Mejia Godoy a déjà connu l’exil au Costa Rica... de 1967 à 1979, pendant la dictature des Somoza. Revenu au pays grâce à la victoire de la guérilla du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) qui a chassé Anastasio Somoza en 1979, il ne pensait pas, à 76 ans, devoir quitter à nouveau son pays pour le seul fait d’avoir critiqué le chef de l’Etat.
Daniel Ortega et son épouse et vice-présidente Rosario Murillo, «sont les premiers traîtres des idéaux qui ont donné naissance au mouvement de guérilla des années 1960», dénonce-t-il. «Cela me fait mal que des gens ne veuillent pas comprendre qu’Ortega est un dictateur», assène celui qui fut haut fonctionnaire au ministère de la Culture lorsque les guérilleros ont pris le pouvoir. «Là-bas (au Nicaragua), j’ai ma maison, mes affaires, mes enfants, mes petits-enfants. J’aurais préféré ne jamais partir, mais j’ai dû le faire pour protéger ma vie et pouvoir dire ce que je pense. J’aurais pu rester, mais je serais réduit au silence, ou en prison, ou même mort», confie-t-il à l’AFP.
Carmella Roger, 71 ans, connue sous le nom de Kitty Monterrey, est présidente du parti Citoyens pour la Liberté (CxL), mis hors-jeu par le tribunal électoral, alors qu’il devait présenter le candidat unique de l’opposition à l’élection de dimanche. Privée de sa nationalité nicaraguayenne, elle a fui en août au Costa Rica, craignant d’être emprisonnée. «Pour moi, le plus dur c’est la solitude. Mais j’ai de la chance, je suis en bonne santé. Ici, beaucoup de Nicaraguayens sont dans le besoin et sans travail». Si l’opposition semble divisée, il y a «un consensus pour qu’Ortega s’en aille, que l’on revienne à la démocratie», explique la présidente de CxL qui souhaite une issue pacifique à la crise car au Nicaragua, «le sang a coulé pendant des décennies».