Bellinzone - L’ombre du «roi de la cocaïne» bulgare plane sur le procès de Credit Suisse

Publié

BellinzoneL’ombre du «roi de la cocaïne» bulgare plane sur le procès de Credit Suisse

Il n’est pas dans la salle d’audience du Tribunal pénal fédéral mais son nom est dans toutes les têtes: Evelin Banev, baron de la drogue bulgare, est au coeur du procès de la banque. 

La Cour des affaires pénales à Bellinzone accueille un procès contre le Credit Suisse. Les débats doivent durer plusieurs semaines.

La Cour des affaires pénales à Bellinzone accueille un procès contre le Credit Suisse. Les débats doivent durer plusieurs semaines.

AFP

Credit Suisse et quatre coaccusés comparaissent depuis le 7 février devant le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone en raison de leurs relations avec un réseau mafieux bulgare. Dans ce procès au long cours, ils sont inculpés de blanchiment aggravé et, pour certains d'entre eux, faux dans les titres ainsi que participation ou soutien à une organisation criminelle. La banque et une de ses anciennes collaboratrices auraient blanchi plusieurs dizaines de millions de francs provenant du trafic de cocaïne auquel se livrait le clan d'Evelin Banev entre Amérique latine et l'Europe.

S’il n’est pas dans la salle d’audience, le nom de ce baron de la drogue bulgare est dans toutes les têtes. Connu sous les sobriquets de Brendo, Igor, B ou Nonno, Evelin Banev, est un ancien lutteur de 57 ans.  Il n’est pas ciblé par les poursuites, mais le TPF pointe, dans un acte d’accusation de 500 pages, son rôle de chef de réseau. Le Bulgare a été sollicité par le tribunal pour intervenir par visioconférence d’ici fin février. Son avocate à Sofia s’est refusée à tout commentaire.

Visé par une notice rouge d’Interpol, le «roi de la cocaïne» est recherché par la Bulgarie, l’Italie et la Roumanie, où il a été condamné à des peines de prison. En cavale depuis 2018, il avait été arrêté en septembre dernier en Ukraine mais rapidement remis en liberté par les autorités de ce pays dont il a acquis la nationalité.

Du tennis à la banque

Sur les bancs du TPF à Bellinzone figurent d’anciens sportifs qui ont quitté la Bulgarie après la chute du communisme en 1989 pour rejoindre la Suisse.  L’un, âgé de 60 ans, est un ami d’enfance d’Evelin Banev et son «homme de paille» présumé. Tous deux pratiquaient la lutte au sein du même club. Au début des années 1990, «de nombreux lutteurs se sont fait approcher par les clans mafieux après avoir perdu le soutien de l’Etat» comme source de revenus, explique le parquet.

L’autre est une ancienne championne de tennis, pointant un temps au 69e rang mondial, et gestionnaire de Credit Suisse au moment des faits. Il est reproché à cette femme de 49 ans d’avoir «accepté d’effectuer des opérations destinées à dissimuler l’origine criminelle des fonds» sans procéder aux «clarifications» nécessaires.

Les enquêteurs ont recensé des actes entre 2004 et 2008 portant sur «plus de 146 millions de francs», mais seuls les faits intervenus après février 2007 sont examinés pour cause de prescription. Credit Suisse a dit «rejeter sans réserve  toutes les accusations infondées  (...) dans cette affaire héritée du passé», se disant «convaincu de l’innocence de son ancienne collaboratrice».

Devant la justice helvétique, celle-ci, «détruite par 13 ans d’instruction», a laissé libre cours à «sa colère», a relaté Me Grégoire Mangeat. «L’existence d’un soupçon d’origine illicite des fonds a toujours été totalement contestée», a-t-il dit, dénonçant «une honte et une tristesse absolue».

Meurtres et kidnapping

Liasses de billets transportés par la route vers la Suisse, ou transferts d’argent depuis des comptes offshores: Evelin Banev a mis en place «un véritable conglomérat juridico-économique composé de plus de 200 sociétés», soulignent les procureurs.  Les fonds blanchis étaient ensuite investis en Bulgarie, notamment dans la construction de complexes résidentiels et d’hôtels de luxe sur la côte de la mer Noire. Selon l’enquête, le baron de la drogue jouissait de contacts au plus haut niveau de l’Etat, sur fond de corruption endémique.

Sa vie a tout d’un roman: doté selon la justice bulgare de multiples passeports, par exemple du Venezuela ou sous l’identité d’un garçon décédé au Maroc dans les années 1970, «il agit sur la scène mondiale», analyse Tihomir Bezlov, spécialiste du crime organisé. Fort de «la confiance, apparemment, des cartels d’Amérique du Sud», il est soupçonné «d’avoir vendu sa marchandise sur certains des plus grands marchés – Italie et Espagne», ajoute l’expert, au fil d’un parcours émaillé de nombreux actes de violence.

Le procès a ainsi évoqué le meurtre de Konstantin Dishliev, un de ses partenaires qui était client de Credit Suisse et a été tué en mai 2005. La mère de ce dernier est également tombée sous les balles en 2008, alors qu’elle s’apprêtait à témoigner.

Evelin Banev a lui-même reçu une spectaculaire mise en garde quand sa fille, alors âgée de 10 ans, fut kidnappée en mars 2013 devant son domicile. Elle avait été libérée 47 jours plus tard contre le paiement d’une rançon dans des conditions mystérieuses.

(AFP)

Ton opinion

1 commentaire