AnniversaireIl y a 30 ans, le pont de Lucerne brûlait
Un incendie avait ravagé ce monument emblématique suisse. Comme après la destruction de Notre-Dame de Paris, l’émotion avait dépassé les frontières. Souvenirs.
- par
- Victor Fingal
L’odeur âcre du bois brûlé était encore présente aux abords du Kapellbrücke (pont de la Chapelle) pendant cette journée du mercredi 18 août 1993 qui a suivi l’incendie nocturne. La météo s’était mise au diapason de la tristesse des milliers de Lucernois et de touristes, agglutinés autour du monument sinistré: après une série de beau temps, une nappe de brouillard s’était abattue sur la ville.
D’une longueur de 200 m, le plus long pont couvert en bois d’Europe, construit au XIVe siècle, et qui enjambe la Reuss, était entièrement détruit sur 120 m. Un mégot ou une allumette enflammée, lancé depuis l’édifice sur un des bateaux amarrés contre un pilier, serait à l’origine de la catastrophe. Quant aux deux tiers des 111 panneaux originaux de Hans Heinrich Wägmann datant du XVIIe siècle, ils ont été irrémédiablement détruits. Ils présentaient des scènes de l’histoire de Lucerne et de la Confédération ainsi que des biographies des deux saints protecteurs de la cité, St-Léger et St-Maurice. Après la restauration du pont et des peintures endommagées, les œuvres détruites ont été partiellement remplacées par des copies, d’autres ont été laissées en l’état et témoignent de cet épisode tragique.
Des Japonais se recueillent devant les ruines
Mais au-delà de sa valeur historique, le pont de la Chapelle, c’était souvent la Suisse et Lucerne à lui tout seul. Selon le correspondant d’alors du «Matin» au Japon, Georges Baumgartner, nombre de Japonais identifient la Suisse au pont de Lucerne, comme la statue de la Liberté à New York. «Un voyagiste de Tokyo, écrivait le journaliste, estimait que de nombreux Japonais éprouveront le besoin de se recueillir devant les ruines du pont qu’ils ont traversé à l’occasion de leur voyage de noces.»
Sur place, dans une foule étrangement calme, les langues se sont déliées. «Il fallait que je vienne voir le pont, confie Heidi Christen, une aide médicale d’Ebikon (LU). Quand je suis arrivée à vélo, j’ai pleuré. J’ai passé par tous les stades, j’ai aussi été furieuse!» Quant à Felix Law, un Chinois de Hong Kong, il découvre Lucerne sous un jour effroyable. «C’est le guide qui nous a annoncé la nouvelle dans l’autocar, je suis effondré.» Roger Keller, un habitant de Kriens (LU), a traversé le pont une heure avant que l’alarme ne soit donnée. «J’ai pensé, que c’est beau, ces lumières, ces fleurs. Quand j’ai entendu la nouvelle à la radio à 5 h 30, je n’ai plus pu dormir.»
Des célébrités lucernoises de l’époque n’étaient pas en reste. Pour le peintre Hans Erni, la perte du pont c’est «comme l’annonce d’un décès, une véritable catastrophe». Emil Steinberger, l’humoriste, affirmait «c’est la fin d’une histoire qu’il faut maintenant réécrire.» De son côté, Alphons Egli, conseiller fédéral, s’est dit bouleversé: «Ma femme a pleuré en apprenant la nouvelle, il n’y a rien de plus à dire.»
Comme pour Notre-Dame, une nation a porté le deuil
Comme pour Notre-Dame de Paris, partiellement détruite en 2019, une nation a porté le deuil. Mais Lucerne n’a pas chômé. Le pont actuel a été inauguré le 14 avril 1994, soit 8 mois après la tragédie. Les travaux ont coûté 3,4 millions de francs pris en grande partie en charge par les assurances. Aujourd’hui, attentif à la différence de patine du bois, le visiteur saura reconnaître sans difficulté les parties anciennes des plus récentes. Quant à Lucerne, elle n’a en rien perdu de son aura. Chaque année, avec 9,4 millions de visiteurs d’un jour pour 81’000 habitants, essentiellement asiatiques et américains, l’intensité du tourisme dépasse 116. À Venise, qui compte 260’000 habitants et 25 millions de visiteurs, ce rapport est de 96, avait révélé une étude de la HES de Lucerne.