Coupe DavisSeverin Lüthi: «Cette victoire avait quelque chose des grandes années»
Au lendemain de l’exploit suisse en Allemagne (3-2), le capitaine revient sur le point décisif de Stan Wawrinka, l’ambiance et la maturation de Marc-Andrea Hüsler. Interview.
- par
- Mathieu Aeschmann
La voix légèrement cassée témoigne de l’intensité des échanges. Même amputée d’un jour, une rencontre de Coupe Davis continue d’être un concentré d’émotions. Samedi soir à Trèves, ces montagnes russes ont fini par emmener l’équipe de Suisse vers un succès historique contre l’Allemagne de Sascha Zverev (3-2). Un exploit que le capitaine Severin Lüthi a accepté de revisiter depuis l’autoroute de son retour en Suisse.
Severin Lüthi, vous avez à peu près tout vécu en Coupe Davis. Où placez-vous ce succès du renouveau en Allemagne?
On a vécu un week-end intense. Et le scénario rend notre victoire encore plus fabuleuse. Donc je pense qu’il faut apprécier le moment, c’est important pour les joueurs de prendre le temps d’apprécier. Après, je vous avoue que j’ai du mal avec le jeu des comparaisons. Je vis toujours ces rencontres comme un tunnel et c’est compliqué pour moi de hiérarchiser. Mais c’est vrai que l’ambiance dans le stade et la longueur des matches m’ont un peu rappelé ce qu’on a vécu par le passé. Soyons clairs, je préférais l’autre formule, les trois jours et les matches en cinq sets. Mais ce week-end avait quelque chose des grandes années. C’est une formidable victoire pour nous.
Une victoire arrachée au bout d’un cinquième match indécis. Avez-vous eu aussi peur que nous lorsque Stan Wawrinka faisait face à deux balles de 1-3 au début de la manche décisive?
J’ai aussi senti que les choses se compliquaient à la fin du deuxième set et au début du troisième. À cet instant, Altmaier était le meilleur joueur sur le terrain. Mais Stan a eu l’immense mérite de rester calme. C’est un truc que Roger (Federer) disait souvent: il y a des phases dans un match où tu dois juste stopper l’hémorragie. Ce n’est pas le moment de réfléchir comment gagner; il faut simplement rester au contact. Voilà ce que Stan a réussi. Il avait tout pour être négatif mais il est resté dedans, a attendu un signe de faiblesse de son adversaire. Et quand celui-ci est arrivé, il a suivi son service une ou deux fois, a changé le rythme et repris le contrôle du match. Il faut lui donner un énorme crédit pour la façon dont il a remporté ce cinquième match, parce qu’avec une autre attitude, tout aurait pu aller très vite.
Vous parlez d’attitude. On a le sentiment que la sauce a très bien pris entre Stan Wawrinka et la nouvelle génération. Qu’est-ce qu’ils s’apportent mutuellement?
Déjà il faut dire que nos jeunes sont des bons gars, très respectueux. C’est important parce qu’il arrive parfois dans le sport que le mélange des générations ne fonctionne pas. Et certains jeunes pourraient avoir la mémoire courte, se dire: «il n’est plus classé dans les 100 meilleurs…». Ils ont grandi avec Stan, le respectent et tu le sens. Après, je pense qu’ils peuvent apprendre 10 000 trucs à son contact, de sa routine d’échauffement à la façon dont il voit le tennis et en parle. Mais le plus important, c’est qu’ils mesurent à quel point sa passion est intacte. Dans l’autre sens, je dirais que Stan est resté très jeune dans la tête et qu’il a adoré passer du temps avec la nouvelle génération. Je l’ai senti amusé, très à l’aise. J’ai vu un partage d’énergie et d’expérience. C’est une situation «gagnant-gagnant».
Un mot maintenant sur le héros du week-end: Marc-Andrea Hüsler. Le sentiez-vous capable de s’imposer à un tel niveau et jusqu’où peut-il aller?
Je ne peux pas dire que je le sentais, que je le savais. Si vous m’aviez dit il y a un an que «Mac» serait «Top 50» (il sera 49e lundi) et qu’il battrait Zverev, je n’aurais probablement pas parié dessus. Mais depuis sa première sélection au Kazakhstan (2018) je l’ai toujours suivi avec un intérêt particulier, principalement pour deux raisons: il avait son projet à lui, avec sa famille et son coach, et il a toujours jeté un regard critique sur son jeu. C’est quelqu’un qui cherche, qui analyse, s’interroge. À un moment, il m’appelait beaucoup et prenait des informations partout où il pouvait. Je suis convaincu que cette approche est à l’origine de son succès. C’est la raison qui fait qu’à 26 ans, il continue de progresser.
Et puis il y a son jeu, atypique mais de plus en plus complet. Pouvez-vous décrire ce qui fait sa force?
Son service de gaucher d’abord. Il trouve des zones très compliquées à retourner, surtout celle extérieure sur le côté de l’égalité (à droite). Ce service lui ouvre le point. Et puis il enchaîne à la volée, une ou deux fois par jeu, ce qui brise la routine de l’adversaire au retour. Enfin, et c’est peut-être l’essentiel: il aime son style de jeu. Il connaît ses forces, ses limites. On le voit en retour de service, secteur dans lequel il prend volontiers beaucoup de risques. Il accepte d’en rater plusieurs à la suite, faire jouer n’est pas son style. Mais il lui suffit d’un jeu avec trois gros retours pour faire la décision. C’est une approche un peu «à la Sampras» qui perturbe les joueurs d’aujourd’hui car ils n’ont plus l’habitude.
Un dernier mot sur cette phase finale de septembre (4 poules de 4 équipes qui se disputent 8 places en finale). Et si vous l’abordiez avec quatre joueurs du «Top 100»?
Quatre «Top 100» en septembre, je signe tout de suite évidemment (Stricker est 118e, Riedi 127e, San 135e). D’ailleurs, il y en a d’autres qui ne sont pas loin. Mais en effet, j’espère que cette qualification va nourrir la motivation de chacun durant la saison. Parfois, la Coupe Davis donne de l’énergie. C’est ce que je leur souhaite.