CyclismeVingegaard-Pogacar, la plus grande rivalité actuelle du sport masculin?
Les deux monstres de la Grande Boucle ne se lâchent pas d’un pouce et accentuent chaque jour un peu plus l’intensité d’une rivalité probablement sans égale aujourd’hui.
![Vingegaard et Pogacar, le couple de l’été. Vingegaard et Pogacar, le couple de l’été.](https://media.lematin.ch/4/image/2023/11/02/bdf01b9e-a3db-40ba-a464-dd0a4b65bfd6.jpeg?auto=format%2Ccompress%2Cenhance&fit=max&w=1200&h=1200&rect=0%2C0%2C2048%2C1365&fp-x=0.5&fp-y=0.5003663003663004&s=0b8e79217c0a33c816cdcda5b49ec6f0)
Vingegaard et Pogacar, le couple de l’été.
AFPSamedi, sur les pentes des Portes du Soleil, Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard ont encore proposé un spectacle dantesque aux amateurs de cyclisme. Une attaque de l’un, une rentrée de l’autre, des moments d’observation digne de pistards, deux sprints, une descente qui fait froid dans le dos, ces deux-là nous auront tout offert. La bourre, ils se la tirent depuis la première étape de cette édition 2023 du Tour de France, de quoi déjà faire entrer cette édition de la Grande Boucle dans les annales. De quoi aussi faire de leur rivalité la plus belle du sport masculin aujourd’hui?
Des sports qui manquent de grands affrontements
Dans l’espoir de répondre à cette question, il faut d’abord poser un constat plutôt glacial: le sport actuel n’est pas vraiment un terrain propice aux grandes rivalités. Prenons les Verstappen, Duplantis, Odermatt, des athlètes générationnels, très au-dessus de la mêlée. Eux, personne n’est en mesure de les regarder dans les yeux. Pour le spectateur, ce genre de virtuoses posent toutefois un sacré dilemme: doit-on se réjouir de contempler leurs exploits sans pareil ou se lamenter de leur domination écrasante?
Si la première alternative a tendance à l’emporter au début, elle finit irrémédiablement par perdre du terrain au profit de la seconde à mesure que les breloques s’entassent toujours dans la même vitrine. Les fans de F1 le savent mieux que personne, eux qui se sont épris du sport hégémonique par excellence. Si le duel Verstappen-Hamilton en 2021 nous a livré la plus grande saison de F1 depuis 2007, il n’a été qu’une anomalie, dans une discipline où se battre à armes égales n’est pas la norme. Et puis rappelons tout de même que cette rivalité n’a pu durer qu’un an.
Le football, pas idéal non plus
Si la F1 n’est pas faite pour offrir de grandes rivalités, un sport comme le football ne l’est pas non plus. Ou du moins, pas dans sa forme actuelle. La concentration de richesses au sein d’un petit nombre de clubs a ligoté le suspense, tout juste autorisé à s’exprimer en Serie A (et encore, si les dirigeants de la Juventus n’avaient pas fait n’importe quoi, elle en serait sûrement à 12 titres de suite). Chez le couple franco-allemand, le PSG et le Bayern gagnent même quand ils ne sont pas bons. En Espagne, la rivalité entre les deux géants est bel et bien d’actualité, mais les affrontements postérieurs à ceux du printemps 2011 sont malheureusement anecdotiques au regard de la grande histoire du sport.
Reste l’Angleterre. La Premier League peut bien se vanter d’être le meilleur championnat du monde et offrir des affiches somptueuses chaque dimanche après-midi à 17h30, en mai, tout le monde s’attend à ce que City soit champion. Et si Liverpool a réussi à tenir la dragée haute aux «Citizens» durant plusieurs saisons, il n’en demeure pas moins une impression d’acte manqué entre ces deux formations.
Peut-être aurait-il fallu une finale de coupe ou a minima une demi-finale européenne pour faire de la lutte entre ces deux titans autre chose qu’un combat à distance. Car c’est aussi ça le problème (ou la chance du football, c’est selon) : le manque d’affrontements directs. À l’époque, il avait fallu pas moins de quatre Clásicos en un mois pour faire passer l’antagonisme Real-Barça, Ronaldo-Messi, Mourinho-Guardiola à la postérité.
D’ailleurs, cette opposition frontale entre deux identités si distinctes, très utile pour mettre le feu aux poudres et galvaniser une rivalité tend elle aussi à disparaître dans ce football actuel de super clubs. Bonne chance pour trouver une narrative convaincante qui fomenterait une rivalité entre superpuissances européennes. Le Real Madrid a bien essayé de se placer en pourfendeur des clubs-État, force est de constater qu’il convainc pour l’instant moyennement.
Le tennis, le basket, le football américain? Que nenni
Si les grandes rivalités actuelles n’ont pas cours dans le football, vers quel sport se tourner? Le tennis peut-être? Voyons voir si Alcaraz est capable de franchir l’Everest que constitue Djokovic. Ensuite seulement pourra-t-on commencer à aborder la question. Le basket? Il est toujours en attente de franchises capables de rappeler au bon souvenir des quatre combats des chefs entre Warriors et Cavaliers, dont le dernier a eu lieu il y a cinq ans déjà. Le football américain? Il y a, c’est vrai, quelque chose d’haletant entre les Chiefs et les Bengals, qui se sont retrouvés deux fois de suite en finale de la Conférence Est ces deux dernières années. Toutefois, une finale de Conférence ça ne vaut pas un Super Bowl.
Pogacar-Vingegaard, tout pour que ça marche
![Vingegaard coiffe au sprint son rival, qui va lui rendre la pareille à l’arrivée. Vingegaard coiffe au sprint son rival, qui va lui rendre la pareille à l’arrivée.](https://media.lematin.ch/4/image/2023/11/02/4ce70134-98c2-44c7-bd76-0fe6bb28d248.jpeg?auto=format%2Ccompress%2Cenhance&fit=max&w=1200&h=1200&rect=0%2C0%2C2048%2C1364&fp-x=0.5&fp-y=0.5&s=95bddd6855818ee42e339aae8ef5a284)
Vingegaard coiffe au sprint son rival, qui va lui rendre la pareille à l’arrivée.
IMAGO/Panoramic InternationalAlors, dans cette quête d’identifier la plus grande rivalité masculine du moment, il ne reste plus que le cyclisme. Et il n’y a sûrement pas là de quoi en faire un choix par défaut. Car entre Pogacar et Vingegaard, tous les éléments sont réunis pour truster cette place de numéro 1, à commencer par la périodicité. Des affrontements directs dans un temps court, il n’y a rien de mieux. À chaque jour qui passe, l’opposition prend un peu plus d’ampleur. Plus grand qu’hier, plus petit que demain, tel pourrait être le slogan de l’affrontement légendaire que le coureur Jumbo-Visma et le coureur UAE nous proposent. Puis, il y a leur supériorité totale sur les mortels du peloton. Cela fait trois éditions du Tour maintenant que ces champions parlent un langage inaccessible aux autres.
Autre ingrédient décisif, leur courage. On aurait pu avoir un affrontement entre experts-comptables, entre analystes du risque. Au lieu de ça, le maillot jaune et le maillot blanc n’hésitent pas à écouler leurs stocks d’énergie, quitte à se retrouver à sec. S’il reste le plus conservateur des deux, Vingegaard est en train de se lâcher ces jours-ci. À lui et «Pogi», le cyclisme leur dit merci, après des années de vélo de laboratoire, œuvre de la formation Sky et de sa quête des fameux «gains marginaux».
Enfin – et ça ne fait jamais de mal -, il y a ce respect entre les deux animateurs en chef de l’été. Quand on connaît les animosités qui peuvent régner dans le peloton, quand on sait à quel point les stars de la petite reine n’ont pas toujours été copines entre elles, on prend.
D’autant que cette rivalité est appelée à se poursuivre encore un moment, au vu de l’âge des deux coureurs; 24 pour le Slovène, 26 pour le Danois. À moins que les Evenepoel, Ayuso ou Carlos Rodriguez ne viennent mettre leur grain de sel dans cette affaire, à la manière d’un Djokovic venu briser le couple Federer-Nadal en 2008, pour en faire un ménage à trois. Mais si tel est le cas, cela n’enlèvera rien à l’Histoire qui s’écrit ces jours sous nos yeux. L’Histoire de la plus grande rivalité du moment dans le sport masculin.