TunisieÉlection d’un Parlement sans pouvoirs dans l’ombre du président Saied
L’opposition boycotte le scrutin et dénonce un moyen pour le président de finaliser l’établissement d’un système hyper-présidentialiste.
Les Tunisiens élisent samedi leurs députés lors d’un scrutin boycotté par la majorité des partis, dernière étape dans l’édification d’un système hyper-présidentialiste par le chef de l’Etat Kais Saied après son coup de force il y a un an et demi. Après avoir voté samedi matin à Tunis, le président Saied a cherché à mobiliser les 9 millions d’électeurs face à une participation attendue comme très faible. «C’est une opportunité historique de retrouver vos droits légitimes», «nous avons rompu avec ceux qui ont ruiné le pays», a-t-il dit. «Ceux qui seront élus resteront sous la tutelle des électeurs» au risque, s’ils ne font pas leur travail, «de se voir retirer leur mandat», a-t-il souligné.
La campagne a été terne, sans vrais débats et avec peu d’affiches dans les rues, au moment où la population s’inquiète surtout de la dégradation des conditions de vie.
Compétences limitées
Une nouvelle chambre de 161 députés doit remplacer celle que M. Saied a gelée le 25 juillet 2021, puis dissoute, après des mois de blocages des institutions en place depuis la chute du président Zine El Abidine Ben Ali, lors de la révolte des Printemps arabes de 2011.
Le nouveau Parlement, après un second tour organisé d’ici début mars, sera doté de compétences fortement limitées par la nouvelle Constitution que M. Saied a fait adopter cet été lors d’un référendum marqué par une abstention massive (près de 70%). Il ne pourra pas destituer le président et il lui sera pratiquement impossible de censurer le gouvernement. Il faudra dix députés pour proposer une loi et le président aura la priorité pour faire adopter les siennes. M. Saied a imposé un nouveau mode de scrutin uninominal à deux tours qui réduit amplement le rôle des partis politiques.
«Un non-évènement»
«Ce vote est une formalité pour parachever le système politique imposé par Kais Saied et concentrer le pouvoir entre ses mains», explique à l’AFP le politologue Hamza Meddeb. «Les Tunisiens savent que le Parlement sera dénué de tout pouvoir», estime-t-il. «C’est un non-évènement». Les candidats, inconnus pour la plupart du grand public, sont «des novices en politique, incapables de mobiliser», ajoute-t-il.
Selon l’Observatoire tunisien de la transition démocratique, la moitié des candidats (1058) sont des enseignants ou des fonctionnaires de niveau intermédiaire et les femmes représentent moins de 15% des postulants, après la suppression de l’obligation d’une parité des candidatures.
La principale préoccupation des 12 millions de Tunisiens reste la cherté de la vie, avec une inflation de près de 10% et des pénuries récurrentes d’aliments comme le lait et le sucre. Le scrutin est boycotté par la plupart des partis, dont le mouvement d’inspiration islamiste Ennahdha, ennemi juré du président Saied, qui a dominé le Parlement dissous durant dix ans. La puissante centrale syndicale UGTT a jugé ces législatives inutiles.
Nouveau prêt du FMI
Pour l’analyste Hamish Kinnear, du cabinet Verisk Maplecroft, le scrutin est «un outil dont se sert le président Saied pour conférer une légitimité à son monopole du pouvoir». Mais la mise en place d’un Parlement va «faciliter les relations de la Tunisie avec ses principaux partenaires extérieurs, en mettant fin à 17 mois d’incertitude constitutionnelle», estime-t-il. Il sera plus aisé, selon lui, d’obtenir l’aide des bailleurs de fonds «grâce à un retour à une plus grande prévisibilité politique, même si la légitimité démocratique des élections législatives est faible». Il y a urgence car les caisses du pays sont vides.
Le FMI, qui devait donner lundi son feu vert à un quatrième prêt à la Tunisie en dix ans, d’environ 2 milliards de dollars, a reporté sa décision à début janvier à la demande du gouvernement dont le dossier n’était pas bouclé, ont indiqué à l’AFP des sources proches du dossier.