CinémaAu Festival de Cannes, Ruben Östlund espère une présidence «démocratique»
Le cinéaste suédois promet l’impartialité, quitte à laisser le Britannique Ken Loach lui voler son rêve d’être le premier à trois Palmes d’Or.
Avec lui à la tête du jury au Festival de Cannes, grands noms comme nouveaux venus auront tous leurs chances: dans un entretien à l’AFP, le cinéaste suédois Ruben Östlund promet l’impartialité, quitte à laisser le Britannique Ken Loach lui voler son rêve d’être le premier à trois Palmes d’Or.
Cannes «est l’une des rares arènes où l’on a le sentiment que certes l’argent joue un rôle, mais que l’on ne peut pas acheter sa position dans la compétition», avance le réalisateur de 49 ans, interrogé mardi depuis le jardin de sa maison de Campos, à Majorque. «Par exemple, on peut faire un petit film iranien réalisé par un réalisateur de 19 ans au format DV à côté de films à très gros budget. Et ces deux films devraient être évalués de la même manière lorsqu’on les regarde», assure l’homme aux deux Palmes d’Or («The Square» en 2017, et «Sans Filtre» en 2022), à quatre semaines de l’ouverture du prestigieux festival.
Plaidoirie pour la salle
Dans un cinéma mondial en plein doute face à l’émergence de Netflix et consorts, Östlund affiche la confiance bravache de celui qui exclut de réaliser pour une plateforme, par amour pour le septième art et par fidélité pour ses distributeurs. «Le cinéma est aujourd’hui l’une des rares salles où nous regardons des choses ensemble», plaide le quasi-quinquagénaire à la mèche rebelle.
«La raison pour laquelle c’est important de regarder les choses ensemble dans une même salle, c’est parce que de cette manière nous commençons à réfléchir au contenu d’une façon complètement différente. C’est pour cela que le cinéma reste unique», avance-t-il.
Président un an après son sacre
Un demi-siècle exactement après sa compatriote, l’icône Ingrid Bergman, il s’offre le luxe de présider le jury un an après son propre sacre. Pour le Suédois, célèbre pour ses comédies grinçantes qui écornent la façade des sociétés occidentales, pas question donc d’avoir des préjugés. Ni sur la sélection – 19 films ont déjà été annoncés – ni sur leurs réalisateurs, réunissant des noms célèbres du cinéma comme Loach ou l’Italien Nanni Moretti, ou une débutante comme la Sénégalaise Ramata-Toulaye Sy.
«Nous allons les traiter sur un pied d’égalité. Nous n’allons pas penser aux différences spécifiques entre les réalisateurs», promet Östlund depuis sa demeure majorquine, maison de ville aux volets verts, banale d’apparence mais à l’intérieur raffiné.
Une troisième Palme pour Ken?
Si «The Oald Oak», le long-métrage du Britannique Ken Loach, séduit le jury, il promet de mettre de côté son ego et de lui décerner une inédite troisième Palme. «Si c’est le meilleur film», sourit-il, «je vais certainement travailler très dur pour dépasser mes propres objectifs égoïstes d’être le premier réalisateur à avoir trois Palmes d’Or».
«Quand vous avez la présidence à Cannes, il faut regarder au loin et on ne peut pas être trop individualiste et se regarder soi-même», assure le volubile Suédois.
Quel président sera-t-il?
Quel président sera-t-il? Ce père de trois enfants confie ne pas avoir «décidé à 100%» mais assure avoir «toujours essayé d’avoir une approche très démocratique de la présidence». La composition du reste du jury n’a pas encore été révélée.
«J’aime écouter ce que tout le monde dit sur les différents films, (…) je n’ai pas l’intention de faire figure d’autorité de quelque manière que ce soit». «En dehors du fait que je veux avoir le dernier mot», plaisante-t-il. Impatient, Östlund dit sa hâte de vivre «la tension et la pression» du festival organisé sur la Côte d’Azur.
La Croisette a une résonance très personnelle pour ce fan du cinéaste autrichien Michael Haneke – autre membre du club très sélect des doubles palmés – et du Suédois Bo Widerberg, auteur du film culte «Elvira Madigan» récompensé à Cannes.
«Quand j’ai commencé à faire des films, parce que je voulais être comme mes héros, j’ai compris que Cannes était l’endroit où projeter ses films parce que c’est là que l’on peut attirer l’attention et toucher d’autres personnes qui regardent les films de la même manière», explique Östlund.
Il espère un exode
Après le festival, il se remettra au travail sur son prochain opus, le septième, qui se déroule dans un long-courrier. Avec «The Entertainment System is Down», Ruben Östlund espère «écrire l’histoire» en provoquant le plus grand exode de spectateurs du Palais des festivals.
Source de cette colère? Une scène insoutenable d’une dizaine de minutes montrant… l’impatience d’un enfant attendant de pouvoir jouer avec un iPad. Depuis son bureau qu’il a fait construire il y a deux ans au fond de son jardin espagnol, il vise une nouvelle sélection qui lui offrirait un ticket pour une possible troisième Palme en moins d’une décennie.
«Je pense qu’ils vont respecter mon prochain film. Et bien sûr, je fais partie de la marque que Cannes représente, mais si ce n’est pas un bon film, il ne sera pas en compétition». «Je ne pense pas que Cannes soit fidèle à qui que ce soit», lâche le double lauréat.