ÉvénementLes dessous des «Anneaux du pouvoir» en exclu
À l’heure où déboule la série télé la plus chère de l’histoire, l’illustrateur John Howe commente, en exclusivité pour lematin.ch, quelques-uns de ses dessins de préparation.
- par
- Christophe Pinol
Rarement une série aura été aussi attendue que «Le seigneur des anneaux: les anneaux du pouvoir». Aussi bien par les fans de J.R.R. Tolkien que par le grand public. Non seulement parce qu’elle va nous replonger dans l’univers de l’une des trilogies cinématographiques les plus plébiscitées, celle du «Seigneur des anneaux», signée Peter Jackson, même si elle se déroule 2000 ans avant, mais aussi parce qu’elle jouit du budget le plus élevé de tous les temps pour un feuilleton télé: plus d’un milliard de dollars pour 5 saisons déjà prévues.
Le spectacle est d’ailleurs bel et bien au rendez-vous, sur Amazon Prime Video, avec les deux premiers épisodes mis en ligne ce vendredi 2 septembre, très impressionnants visuellement.
On a donc demandé au Canadien John Howe, célèbre illustrateur spécialiste de l’œuvre de Tolkien, et Neuchâtelois d’adoption depuis 35 ans, de nous parler de son travail sur la série. Il avait déjà imaginé l’univers visuel des deux trilogies de Jackson, «Le seigneur des anneaux» et «Le Hobbit», et le revoilà aux fourneaux sur cette ambitieuse épopée télévisuelle. En exclusivité, il nous livre quelques-uns de ses dessins de préparation et nous en parle en détail.
Comment vous sentez-vous, au moment de découvrir les deux premiers épisodes?
Vous savez, 5 saisons sont d’ores et déjà prévues, soit 40 heures de programme et ça va être difficile de juger la série sur la base de ces deux premiers épisodes. Mais effectivement, la série est attendue et je sais que ça va déclencher de grosses réactions. De quoi animer les réseaux sociaux pendant quelques semaines…
En attendant, on va donc se pencher en détail sur votre travail à travers 4 de vos illustrations faites durant la préparation de la série. On commence par se plonger au cœur de la Moria, la cité souterraine des nains que l’on avait découverte en ruines dans le premier volet de la trilogie de Peter Jackson. Sauf que là, on est donc 2000 ans plus tôt…
Exact, à une époque où la cité est encore prospère. Tolkien y faisait référence dans «La Communauté de l’anneau», en expliquant que c’était à l’époque un lieu plein de vie. Il fallait donc montrer le dynamisme de cette cité, à quel point elle était peuplée… On a aussi essayé de représenter différentes notions d’architecture puisqu’on va montrer plusieurs royaumes de nains: certains plus riches et fastueux que les autres, avec différents courants culturels. J’ai essayé d’imaginer comment fonctionnait leur société, comment ils distribuent la lumière, l’eau… C’est un jeu extrêmement plaisant que de se plonger là-dedans.
Qu’est-ce qui vous a amené à concevoir ces espèces d’appartements inversés?
Les nains font peu de construction. Ils creusent dans la roche en travaillant comme un sculpteur, en enlevant de la matière plutôt qu’en en rajoutant. J’ai donc imaginé de gigantesques stalactites dans lesquelles ils auraient creusé, un peu comme en Cappadoce mais à l’envers.
Quelles sont les différentes étapes de votre travail quand vous vous attaquez à dépeindre visuellement un décor?
Généralement, on a un tout premier échange avec le directeur artistique pour définir comment on va approcher une scène et je me lance alors dans l’élaboration de tout une série de croquis, le but étant de proposer toutes sortes d’idées, au début sans se préoccuper de la faisabilité de la chose, afin d’établir un dialogue. Un long va et vient, à travers des croquis que l’on se renvoie les uns aux autres, et qui va nous permettre d’affiner les choses et d’arriver à une représentation du décor qui répond à toutes les exigences: script, budget, lieu de tournage… Je dessine beaucoup au crayon, pour aller plus vite. Entre 5 et 12 dans la journée. Et j’ai dû faire quelque chose comme 1500 croquis pour l’ensemble de la première saison.
On reste dans les souterrains avec l’illustration suivante: une inquiétante grotte… Où sommes-nous et qui sont ces personnages?
Il s’agit de Galadriel et de ses patrouilleurs Elfes. Après avoir été pris dans une tempête de neige et avoir escaladé une cascade de glace, ils arrivent dans cette espèce de forteresse qu’on imagine très loin au nord. Ils vont non seulement y rencontrer un Troll des neiges mais aussi les premières traces du Mal…
Quand vous concevez ce type de décor, imaginez-vous aussi comment ces formations en épine ont pu se façonner?
Pas dans ce cas-là. Le lieu étant en quelque sorte magique, je me laisse plus aller sur l’aspect visuel pour évoquer quelque chose de menaçant. Et comme j’aime bien ce type d’épines… J’ai dû faire une centaine de croquis pour toute cette séquence. D’abord d’ambiance, puis d’autres plus détaillés destinés à la conception des décors, et encore d’autres, plus tard, pendant leur construction, pour résoudre des problèmes particuliers. J’interviens en fait tout au long de la production, il y a toujours quelque chose à améliorer ou à revoir. Parfois, on prolonge même encore le travail en post-production, pour la création de scènes entièrement numériques ou en remplissant les trous laissés par des écrans verts ou bleus durant le tournage.
On arrive ensuite à une créature… Un Troll?
Oui, le Troll des neiges que Galadriel et ses patrouilleurs vont justement rencontrer dans les grottes dont on parlait. J’en ai fait 6 ou 7 versions différentes et c’est celle-ci qui a été retenue, où la créature arbore des défenses style phacochère. Là, la contrainte, c’est que ton concept doit coller à plusieurs notions: le Troll de la mythologie nordique, ceux décrits par Tolkien, et enfin ceux de la trilogie de Peter Jackson. Alors on est 2000 ans avant et il faut imaginer quelque chose qui s’en différencie mais qui y est aussi forcément lié. Pour moi, c’est un travail qui relève plus de l’archéologie que de l’invention pure et simple. J’ai vraiment l’impression que l’image existe déjà, là, quelque part, et qu’il me faut juste la découvrir, en explorant diverses pistes. Dans ce cas-là, j’avais déjà trouvé la tête quand brusquement, un coup de crayon m’a suggéré les défenses… Une fois qu’on a tous les paramètres en tête, ça devient complètement intuitif.
Enfin, la dernière illustration nous emmène sur une plage, dans un environnement qui tranche radicalement avec ceux dépeints dans «Le seigneur des anneaux», exclusivement situé à l’intérieur des terres…
Exact. Là, on est sur la côte de Numénor, une vaste île située au large de la Terre du Milieu. J’ai fait de nombreux croquis en m’inspirant d’endroits magnifiques découverts en Nouvelle-Zélande, ainsi que pour le bâtiment que l’on aperçoit au loin sur son éperon rocheux. La production a ensuite choisi le lieu du tournage et le challenge consistait alors à créer des éléments qui puissent être intégrés en numérique au décor naturel existant. C’est une étape que j’aime beaucoup: tu as le réel et il faut y ajouter des bâtiments, des formations rocheuses…
On a beaucoup parlé de vastes décors mais travaillez-vous aussi sur des choses à plus petite échelle?
Bien sûr. Il peut m’arriver de dessiner une charnière de coffre, une poignée de porte, une épée, une créature… Et le tout, pour 5 ou 6 races différentes: Orques, Elfes ou encore Harfoot, ces ancêtres des Hobbits que l’on va découvrir dans cette série. Ça demande une gymnastique d’esprit assez folle mais j’adore ça. Tu travailles parfois de longue haleine sur un vaste décor et on te demande alors de résoudre en urgence un petit détail: tu changes d’échelle, tu te replonges dans une autre culture…
Alors la série «Les anneaux du pouvoir», c’est une chose, mais vous avez aussi travaillé sur un long métrage autour de l’univers de Tolkien, «Le seigneur des anneaux: La guerre des Rohirrim» actuellement en préparation, un film d’animation situé 250 avant la trilogie originelle et qui nous plongera dans le royaume de Rohan. Que pouvez-vous en dire?
J’ai travaillé 5 semaines sur ce projet, pendant une période de creux de la production des «Anneaux du pouvoir», principalement sur des environnements, des armes et des armures. C’était intéressant parce que très différent: c’est un seul film, c’est de l’animation, on se retrouve à peu près à l’époque de l’univers du Seigneur des anneaux… Et ça m’a permis de retrouver les cavaliers de Rohan parce que pour les films de Peter Jackson, c’est surtout mon collègue Alan Lee qui s’en était occupé.
On ne peut donc plus s’attaquer à Tolkien sans faire appel à vous! Flatté?
Bien sûr! J’aurais surtout été déçu de ne pas participer à ces projets parce que c’est un univers que j’aime beaucoup, même si ça fait déjà 40 ans que je l’explore avec mes crayons et mes pinceaux. Et puis travailler sur de gros projets comme celui d’Amazon, avec une grande équipe, plutôt que seul à la maison, ça me permet de remettre les choses en perspective…