Guerre en Ukraine«On leur dit que tout va bien, que la vie est belle»
Dans un hôpital psychiatrique de Kiev, le personnel s’efforce de cacher les horreurs de la guerre à ses patients, des hommes de 18 à 80 ans.
Parfois, quand la guerre fait trembler sa clinique psychiatrique, dans le nord-ouest de Kiev, Oksana se cache pour pleurer. Puis l’infirmière se force à sourire et reprend sa mission: assurer à ses pensionnaires que «tout va bien» pour l’Ukraine. Chaque jour, l’invasion russe tue et détruit à l’artillerie lourde à Irpin et Boutcha, à quelques kilomètres de la pension neuropsychiatrique pour hommes de Novo-Bilytsky et de ses 355 résidents. Certains soirs, «je pleure à n’en plus finir dans ma chambre, pour ne pas que les patients ou collègues me voient», avoue Oksana Padalka, l’infirmière en chef.
Des 120 personnels à encadrer les patients avant la guerre, la moitié n’est plus là aujourd’hui. Dont une infirmière qui habite à Boutcha, une ville voisine martyre sur la ligne de front, et dont Oksana n’a «plus de nouvelles depuis deux semaines». Ses émotions, elle ne peut pas les montrer à ceux qu’elle appelle «nos garçons», ces malades de 18 à plus de 80 ans dont les familles ne peuvent pas s’occuper et qui vivent à l’année dans le centre.
«On est leur famille»
«Si je prends quelques cachets, le lendemain matin, je suis calme», avoue Oksana. Elle peut alors se maquiller, et arriver tout sourire face à ses pensionnaires. «S’ils voient qu’on est calme, ils pensent que tout est normal, et que tout ira bien pour eux». Encore aujourd’hui, «certains disent qu’ils ont peur», d’autres «demandent quand la guerre sera finie». «On les prend dans nos bras, on leur dit qu’on est leur famille, on leur montre qu’on sera là pour eux. Que tout va bien, que la vie est belle».
À l’hôpital, tout a été fait pour maintenir la routine des patients, avec l’aide des pensionnaires qui aident de bon cœur. «On a toujours de l’électricité, de la nourriture, le quotidien ça les rassure», souligne, Viktor Jouravski, le directeur. Ils écoutent aussi de la musique, comme Oleksyi, fan de «toutes les chansons d’Abba», ou Sergueï, qui préfère Boney M.
Parmi les changements, le soir, les patients vont au lit «à moitié habillés» pour pouvoir descendre rapidement, en cas de bombardements intensifs, dans le bunker du sous-sol. C’est arrivé «trois ou quatre fois» et tout le monde est remonté en moins d’une heure, précise le directeur. Les promenades dans les jardins ont été écourtées, et les pensionnaires n’ont plus accès à Internet. «On ne veut pas qu’ils soient perturbés par des informations négatives» ou «voient passer des horreurs», souligne Oksana.
«L’Ukraine va gagner»
Impossible en revanche de se passer de la télévision, que certains regardent toute la journée. Mais elle ne montre que la chaîne publique ukrainienne, porte-voix positif et un brin grandiloquent de la résistance forcément héroïque et promise à la victoire face à l’envahisseur russe. Et les résidents reprennent à l’envi le slogan martelé à l’antenne: «Slava Ukraïni» («Gloire à l’Ukraine»).
«On leur dit ce qu’ils ont envie d’entendre: on est ensemble, tous unis, dans le même bateau», explique le médecin-chef du centre, Mykola Panassiouk. «On est prêt à mourir pour l’Ukraine», lui lance un patient. Le médecin le reprend tendrement en riant: «Non, tu dois plutôt vivre pour l’Ukraine!» Certains plaisantent du conflit, comme ce pensionnaire qui, au déjeuner, a pris deux œufs durs: «Ceux-là, ils ne sont pas encore à Poutine!» Tout sourire, un médecin rétorque: «C’est sûr, s’il venait ici, on l’internerait d’office!»