PakistanLe premier ministre Imran Khan renversé par une motion de censure
C’est une fin de partie abrupte pour l’ancien joueur de cricket de 69 ans arrivé au pouvoir à l’issue des législatives de 2018.
Imran Khan n’a pas échappé au sort de ses prédécesseurs: il a été contraint dimanche de quitter son poste de premier ministre avant la fin de son mandat, avec une image abîmée par ses manœuvres politiciennes et sa rhétorique querelleuse.
Aucun premier ministre n’est jamais allé au bout de son mandat au Pakistan, et cet ancien sportif d’exception de 69 ans n’est pas différent. Il a été renversé par une motion de censure votée par l’Assemblée nationale, après avoir tout fait pour retarder l’inéluctable.
Il pensait avoir esquivé le couperet six jours plus tôt, en obtenant que la motion ne soit pas soumise au vote et que l’Assemblée soit dissoute. Mais la Cour suprême a jugé tout le processus inconstitutionnel. Elle a restauré l’Assemblée et ordonné qu’elle procède au vote sur la motion de censure, que M. Khan, lâché depuis quelques jours par plusieurs de ses alliés, a perdu. Toujours populaire auprès de larges pans de la population, il n’a sans doute pas dit son dernier mot en vue des prochaines échéances électorales.
Mais son bilan et sa propension ces derniers jours à accentuer les fractures de la société pakistanaise, avec de virulentes attaques envers l’opposition, accusée de «trahison», pourraient jouer contre lui. Imran Khan est arrivé au pouvoir en 2018, après la victoire aux législatives de son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), sur une plateforme populiste mêlant promesses de réformes sociales, conservatisme religieux et lutte contre la corruption.
Une situation sécuritaire dégradée
Vingt-deux ans après son entrée en politique, la ténacité de celui qui est idolâtré par des millions de Pakistanais pour avoir mené l’équipe nationale de cricket, sport roi dans le pays, à sa seule victoire en Coupe du monde en 1992, était ainsi récompensée.
Comme chef du gouvernement, il a d’abord capitalisé sur son image d’incorruptible et la lassitude de la société à l’égard des partis traditionnels, qui ont monopolisé le pouvoir pendant des décennies avec l’armée. Pendant la pandémie de Covid-19, son choix de ne pas imposer de confinement national, qui aurait «fait mourir de faim» les gens, s’est révélé populaire et gagnant. Le pays a été largement épargné (30’000 morts). Mais la conjoncture économique et ses mauvais choix ont fini par le rattraper. La forte inflation, la dépréciation de la roupie depuis juillet et le creusement de la dette l’ont affaibli.
La détérioration de la sécurité, en particulier depuis la prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan mi-août, a aussi contribué à ses difficultés. Leur retour triomphal a d’abord été interprété comme une victoire pour le Pakistan, accusé de longue date de les soutenir, et pour celui qui a été affublé du sobriquet de «Taliban Khan» pour n’avoir jamais cessé de prôner le dialogue avec eux. Mais après plusieurs années d’un calme relatif, les attentats ont repris de plus belle depuis août, menés notamment par les talibans pakistanais du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP).
Accusé de complaisance envers les radicaux
Imran Khan a aussi pâti de la dégradation probable de ses liens avec l’armée, qui était accusée d’avoir interféré en sa faveur en 2018, même si celle-ci est restée silencieuse ces derniers jours. Ses efforts pour positionner le Pakistan en acteur régional incontournable n’ont guère porté non plus. Les liens avec Washington et les pays européens se sont distendus, notamment sous l’effet de ses diatribes contre l’islamophobie, déguisée à ses yeux en Occident sous les traits de la liberté d’expression. Islamabad s’est encore plus rapproché de la Chine. Et la visite officielle à Moscou d’Imran Khan le jour même du déclenchement de la guerre en Ukraine lui a valu nombre de moqueries.
Ce fils d’une riche famille de Lahore, diplômé d’Oxford, marié trois fois après avoir entretenu pendant sa carrière sportive une réputation de play-boy, s’est aussi vu reprocher sa complaisance envers les religieux radicaux. Marié en troisièmes noces en 2018 avec Bushra Bibi, issue d’une famille conservatrice et qui porte le voile, il a défendu avec véhémence la controversée loi sur le blasphème.
En novembre, son gouvernement a levé l’interdiction pesant sur le Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), décrétée en avril après de violentes manifestations anti-françaises organisées par ce parti islamiste, qui dénonçait le soutien apporté par la France au droit de caricaturer, y compris le prophète Mahomet. Souvent accusé d’avoir restreint l’espace d’expression de la presse, Imran Khan a aussi suscité l’indignation des organisations féministes en établissant plusieurs fois un lien entre le viol et la manière de s’habiller des femmes, dans un pays où les violences sexuelles sont courantes.