«Le métavers, ce n’est pas pour demain»

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Monde en construction«Le métavers, ce n’est pas pour demain»

Des mémos internes de chez Meta dressent un état de santé préoccupant de leur plateforme Horizon Worlds.

Christophe Pinol
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Christophe Pinol
L’illustration de l’annonce d’ouverture du métavers de Meta en France et en Espagne. Elle est immédiatement devenue la risée de la Toile.

L’illustration de l’annonce d’ouverture du métavers de Meta en France et en Espagne. Elle est immédiatement devenue la risée de la Toile.

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Il a fait bonne figure, mardi dernier, Mark Zuckerberg, à l’occasion de la conférence Meta Connect 2022. Cette grand-messe annuelle était évidemment tournée vers Horizon Worlds, son univers de réalité virtuelle mis en place il y a un peu moins d’un an (mais toujours indisponible en Suisse). On l’a ainsi vu multiplier les annonces alléchantes, dévoilant notamment son nouveau casque VR haut de gamme, le Meta Quest Pro, et confirmant que la plateforme serait prochainement accessible également par le web, via un ordinateur ou un smartphone. Pourtant, le CEO et fondateur de Meta (ex-Facebook) a tout de même dû sentir quelques grosses gouttes de sueurs lui couler le long de l’échine.

La faute à la fuite, sur le Net, quelques jours auparavant, de documents internes – des échanges sous forme de mémos entre employés – détaillant à quel point Horizon Worlds souffre de problème de qualité graphique et d’expérience utilisateur peu convaincante. Un constat plutôt rude pour cette plateforme communicative qui se veut, selon Meta, l’avenir du métavers. Vous savez, ce monde numérique censé reproduire le nôtre en l’extrapolant, où l’on pourra évoluer à notre guise par le biais d’avatars, et qui fascine depuis des mois la Silicone Valley.

Meta dans la tourmente

En août dernier, pour annoncer l’arrivée d’Horizon Worlds en France et en Espagne, Mark Zuckerberg n’avait pas hésité à publier une photo du sien, d’avatar, aux côtés de la tour Eiffel et la Sagrada Familia.

Sauf que la publication était rapidement devenue la risée du web, moquée pour des graphismes évoquant plus volontiers une animation bas de gamme des années 2000. Dans la foulée, le CEO avait promis de sérieuses refontes graphiques. Or, ces documents internes révèlent aujourd’hui non seulement que celle-ci est criblée de bugs mais qu’à l’interne, les employés ne l’utilisent quasi pas.

«Beaucoup d’entre nous ne passent pas assez de temps sur la plateforme, écrivait à son équipe Vishal Shah, vice-président du métavers chez Meta, dans un de ces mémos rendus public, daté du 15 septembre dernier. Pourquoi ne sommes-nous pas capables de porter plus d’amour à ce produit que nous avons créé? Si nous ne l’aimons pas, comment pouvons-nous espérer que nos utilisateurs y adhèrent?»

Deux semaines plus tard, constatant que ses équipes ne s’impliquaient pas davantage, il ajoutait: «Chaque employé de cette entreprise devrait se donner pour mission de tomber amoureux d’Horizon Worlds. Et vous n’y parviendrez pas sans l’utiliser. Allez-y! Organisez votre temps pour vous y plonger, que ce soit en interne avec un collègue ou à la maison avec des amis»…

Ne pas confondre Meta avec le métavers

Alors faut-il voir dans ces déboires un nouveau camouflet pour le métavers? Notamment après les chiffres ahurissants relevés il y a quelques jours par le site The Byte à propos de la plateforme Decentraland (permettant d’acheter et de vendre des biens immobiliers virtuels) qui ne compterait que 38 utilisateurs actifs quotidiens, pour un budget de 1,3 milliard de dollars…

Pas pour Laetitia Bochud, directrice de l’association Virtual Switzerland: «Meta n’a pas l’apanage du métavers. Il y a plein d’autres applications bien plus intéressantes qu’Horizon Worlds et il n’y a pas de raison pour que les ennuis rencontrés par Mark Zuckerberg constituent un revers pour le métavers. Pour Meta, oui, je veux bien. Mais pas au-delà».

Message reçu. Reste que l’entreprise a tellement bien réussi son coup marketing de l’an passé, en abandonnant le nom de Facebook pour celui de Meta, et en concentrant toutes ses forces pour entrer dans cette nouvelle ère, que dans l’esprit du grand public, le métavers, c’est dorénavant eux.

«Pas de métavers avant 10 ou 15 ans»

Problème: le métavers, le vrai, n’est pas pour demain, selon les spécialistes. «On ne l’aura pas avant 10 ou 15 ans, affirme Laetitia Bochud. Les gens se méprennent: les plateformes actuellement disponibles n’ont pas grand-chose à voir avec le métavers. Ce ne sont pas des mondes encore véritablement ouverts et aucune n’offre de connexion directe entre virtualité et réalité».

Pour Alexander Kvasov, CTO et cofondateur de la start-up Creal, à Lausanne, spécialisée dans les écrans de lunettes VR, cette méconnaissance du grand public n’est pas étonnante: «Il y a toujours un décalage entre les promesses annoncées d’une nouvelle technologie et leur concrétisation. Les agences de communication et de marketing des sociétés impliquées dans le métavers font évidemment tout pour mettre le marché en ébullition. C’est ce qui permet aux start-up de signer de meilleurs contrats avec les investisseurs et aux sociétés comme Meta, cotées en bourse, de voir leurs actions s’envoler et leur permettre ainsi de débloquer des fonds plus facilement. On nous promet des tonnes de fonctionnalités fabuleuses – faire ses courses à distance, organiser des meetings, aller au cinéma – mais rien n’est encore opérationnel et il s’écoulera probablement encore une bonne dizaine d’années, voire plus, avant qu’on ne voie ces solutions émerger».

Laetitia Bochud précise: «Souvenez-vous des premiers téléphones portables. Personne ne pouvait imaginer qu’ils rassembleraient aujourd’hui autant de fonctionnalités. Et bien, on en est là avec Horizon Worlds: aux téléphones de la fin des années 90. Et bien malin celui qui pourra prédire ce que deviendra le métavers dans 20 ans».

Un nouveau casque VR pro

En attendant, mardi passé, Mark Zuckerberg n’a pas pris trop de risques lors de la Meta Connect. Le seul élément concret qu’il s’est risqué à annoncer est la date de sortie de son nouveau casque VR, le 25 octobre (mais pas en Suisse, où de toute façon l’accès à Horizon Worlds n’est toujours pas possible). L’appareil est prometteur mais conçu pour le marché professionnel (d’où son prix, 1800 euros environs, généralement jugé excessif).

Il est annoncé 50% plus puissant que le Meta Quest 2, propose des améliorations pour capter les expressions de notre visage afin de les reproduire sur notre avatar, ainsi qu’au niveau des caméras braquées sur l’extérieur, pour voir le monde réel. Mais en dehors de ça, toutes les innovations évoquées lors de la conférence – des avatars beaucoup plus réalistes, l’importation d’objets du réel au sein de la plateforme par un simple scan du smartphone, ou encore la compatibilité avec Microsoft Team, Zoom et les jeux du Xbox Cloud Gaming – ne sont encore qu’au stade du développement. Et rien n’assure qu’elles seront disponibles sous cette forme sur la plateforme. Et surtout pas à quel moment. On en revient aux promesses évoquées plus haut par Alexander Kvasov.

Celui-ci nous explique d’ailleurs que selon lui, c’est précisément ce qui a empêché la réalité virtuelle de séduire le grand public: «Il y a eu trop de promesses non tenues. On nous annonçait qu’avec la VR, tout le monde allait avoir un casque à la maison et pouvoir vivre des expériences hors du commun. Or, ça n’a pas été le cas». Et aujourd’hui, on a la fâcheuse impression qu’avec le métavers, l’industrie ne semble pas avoir retenu la leçon et reproduit les mêmes erreurs. À voir, maintenant, si la mise en place se révélera tout aussi laborieuse.

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