Crise des sous-marinsParis rappelle ses ambassadeurs à Washington et Canberra
Ne décolérant pas après la perte du «contrat du siècle» le 15 septembre au profit des États-Unis, la France a pris une décision inédite vendredi vis-à-vis de ses alliés américains et australiens.
La France a rappelé vendredi ses ambassadeurs aux États-Unis et en Australie, une décision sans précédent vis-à-vis de deux alliés historiques, après le torpillage d’un mégacontrat de sous-marins français à Canberra.
«À la demande du président de la République, j’ai décidé du rappel immédiat à Paris pour consultations de nos deux ambassadeurs aux États-Unis et en Australie», a annoncé le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian dans un communiqué. «Cette décision exceptionnelle est justifiée par la gravité exceptionnelle des annonces effectuées le 15 septembre par l’Australie et les États-Unis», a-t-il ajouté.
«Nous avons été en contact étroit avec nos alliés français», et «nous espérons pouvoir continuer notre discussion sur ce sujet à haut niveau dans les prochains jours, y compris à l’Assemblée générale de l’ONU la semaine prochaine» à New York, a réagi le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price, dans un tweet, assurant «comprendre leur position».
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken et Jean-Yves Le Drian seront tous les deux présents la semaine prochaine à New York pour le grand rendez-vous annuel de la diplomatie mondiale. Un peu plus tôt, un haut responsable de la Maison-Blanche avait déjà dit sous couvert de l’anonymat «regretter» que les Français «aient franchi ce pas».
Les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni ont annoncé mercredi un partenariat stratégique pour contrer la Chine, AUKUS, incluant la fourniture de sous-marins américains à propulsion nucléaire à Canberra, qui a sorti de fait les Français du jeu.
L’abandon du projet de sous-marins français et l’annonce d’un nouveau partenariat «constituent des comportements inacceptables entre alliés et partenaires, dont les conséquences touchent à la conception même que nous nous faisons de nos alliances, de nos partenariats et de l’importance de l’Indopacifique pour l’Europe», a martelé Jean-Yves Le Drian.
«America First»
La France avait signé en 2016 un contrat de 90 milliards de dollars australiens (61 milliards de francs) pour la fourniture de 12 sous-marins à propulsion diesel à l’Australie, souvent qualifié de «contrat de siècle» en raison de son ampleur et de sa portée stratégique.
Depuis l’annonce du partenariat, Paris ne décolère pas, jugeant avoir été trahi par l’Australie comme par les États-Unis qui ont fait de la rivalité contre la Chine leur priorité numéro un et demandent à leurs alliés un plus grand engagement à leur côté en Indo-Pacifique, une zone cruciale pour l’économie mondiale.
La toile de fond de cette crise diplomatique est la montée en puissance de la Chine et sa politique de plus en plus agressive dans la zone, qui inquiète de très nombreux pays. Notamment, les tensions commerciales entre Pékin et Canberra n’ont pas cessé de croître depuis 2018. Ces derniers mois, la Chine a imposé de sévères sanctions économiques à l’encontre de nombreux produits australiens.
«Coup dans le dos»
Le chef de la diplomatie française a dénoncé jeudi un «coup dans le dos» de l’Australie, et une décision «brutale» du président américain Joe Biden, qu’il a comparée aux méthodes de son prédécesseur Donald Trump. La France a également annulé une soirée de gala prévue vendredi soir pour commémorer l’anniversaire de la bataille de Chesapeake Bay, décisive dans la guerre d’indépendance des États-Unis, conclue par une victoire de la flotte française sur la flotte britannique, le 5 septembre 1781.
Les Européens ont désormais une idée «assez claire» de la façon dont Washington considère ses alliés, souligne-t-on à Paris. Le président Joe Biden, dont l’élection avait été accueillie avec soulagement en Europe, a certes promis de traiter ses alliés de l’Otan avec plus d’égards que son prédécesseur. Mais de l’Afghanistan à l’alliance américano-australo-britannique dont la France a fait les frais, il a agi de façon unilatérale, en assumant une continuité absolue avec le slogan «America first» de Donald Trump.
Une déception bien comprise?
L’Australie a dit vendredi comprendre la «déception» française tout en souhaitant continuer à travailler avec Paris. «Il est évident que ce sont des questions très difficiles à gérer», a déclaré la cheffe de la diplomatie australienne Marise Payne depuis Washington. «Mais nous continuerons à travailler de manière constructive et en étroite collaboration avec nos collègues français», a-t-elle promis.
Faisant feu de tout bois, Paris s’est demandé comment faire confiance désormais à Canberra dans la négociation commerciale entre l’UE et l’Australie. «On a des négociations commerciales avec l’Australie, je ne vois pas comment on peut faire confiance au partenaire australien», a lancé le secrétaire d’État aux Affaires européennes Clément Beaune.
Quant au Royaume-Uni, également partie prenante à l’accord AUKUS, qui a quitté l’UE en expliquant vouloir recouvrer sa souveraineté, il est en train de se placer dans une position d’«associé junior» qui se cache dans «le giron» de Washington, a-t-il déploré. L’ambassadeur à Londres n’a d’ailleurs pas été rappelée.
«Irresponsable» selon Pékin
En Australie, le Premier ministre australien Scott Morrison a lui répliqué à la colère de Pékin après l’annonce de ce partenariat qui prévoit que Canberra dispose de sous-marin nucléaire, avec plus d’autonomie et plus discrets que les sous-marins conventionnels que proposait la France.
Pékin a un «programme très important de construction de sous-marins nucléaires», a-t-il rappelé. «Ils ont le droit de prendre, en matière de défense, des décisions dans leurs propres intérêts, et, bien sûr, l’Australie et tous les autres pays aussi».
Car la Chine avait vivement réagi, qualifiant l’acquisition de ces sous-marins d’«extrêmement irresponsable» et menaçant notamment la stabilité dans la région indo-pacifique. Elle a aussi pointé qu’elle remet en cause les efforts internationaux de non-prolifération nucléaire.