MusiqueAvec Voice of Baceprot, les métalleuses en hijab sont dans la place
Les trois copines, Marsya, Siti et Widi, viennent d’un petit village indonésien d’une centaine d’habitants et ont fait leur scolarité dans une école coranique traditionnelle.
De leur petit village indonésien aux Trans Musicales de Rennes, en France, le trio féminin de Voice of Baceprot (VoB) a bien traversé plusieurs espaces-temps. Le hijab fièrement porté sur scène, elles revendiquent le droit d’être femmes, musulmanes et métalleuses. Et ça déménage.
Un village d’une centaine d’habitants à deux heures de route de la première grande ville de l’ouest de Java. Une scolarité dans une école coranique traditionnelle. Des parents ouvriers ou paysans qui n’écoutent pas de musique, si ce n’est folklorique… Voilà l’univers de Marsya, Siti et Widi, copines de primaire, avant leur rencontre avec Abah, conseiller d’orientation, qui a instillé en elles le virus de la musique en les invitant à jouer dans une comédie musicale. Guitariste et fan de metal, Abah les a initiées à son univers détonant, les encourageant à monter leur groupe en 2014. Leur orientation est aujourd’hui toute tracée: métalleuses aux quatre coins de la planète…
Samedi aux Trans Musicales, le trio de 20 et 21 ans a surpris plus d’un festivalier. Vêtues de longs imperméables noirs, bottines noires, enragées, «bruyantes», signification de «Baceprot» en soundanais, elles étaient visiblement ravies d’avoir transporté le public avec leur répertoire personnel et des reprises de Metallica et Rage Against The Machine (RATM). «C’est notre première tournée en Europe et pour nous c’est un rêve qui se réalise», confie à l’AFP Marsya, chanteuse et guitariste. Leur mot d’ordre: «N’ayez pas peur de vos rêves, rêvez en grand».
Après avoir tenté de les dissuader de se lancer dans la musique au profit d’une vie qui commence par un mariage au village, leurs parents sont aujourd’hui fiers de leurs progénitures. «Ils nous soutiennent à 100% d’autant que maintenant, on peut les aider financièrement», s’amuse Marsya.
Loin d’être une niche en Indonésie, le metal y est extrêmement populaire. Même le président Joko Widodo adore. Au fil des années, les trois passionnées ont parfait leur technique, malgré l’absence de formation musicale de base.
Apôtres de la tolérance
«Au début, elles étaient obsédées par le fait de jouer vite, le plus vite possible», raconte leur producteur indonésien Stephan Santoso. «Aujourd’hui elles sont plus matures et réussissent à jouer un metal très technique».
Fans de Slipknot, System of a Down et Lamb of God, les VoB sont en train de «monter», assure Stephan Santoso. Fortes d’une grosse communauté de fans sur les réseaux sociaux, elles ont aussi reçu les félicitations de Tom Morello, guitariste de RATM, pour leurs reprises. «Elles sont au croisement du thrash metal, du groove metal et du funk metal. Dans cet univers assez fermé, elles ont réussi à développer un genre propre, avec une approche assez pop», analyse Thomas Lagarrigue, responsable éditorial des Trans.
Leurs textes, souvent chantés en anglais, sont exclusivement engagés. «School revolution» raconte un univers éducatif bâillonné, où les élèves n’ont aucun libre-arbitre et où l’apprentissage se résume à du «par cœur». Dans un pays où la pollution de l’air explose, le trio s’est également emparé des questions environnementales. Leur dernier single, «God allow me please to play music» interpelle les censeurs de l’islam dans le plus grand pays musulman du monde, leur demandant pourquoi la musique serait contraire à la religion. «On prône la tolérance envers tous types de personnes, de religions», plaide Marsya, qui revendique aussi d’«éveiller les consciences des femmes» et dénonce «le système patriarcal qui les opprime».
Leur succès dans leur pays leur a toutefois valu de recevoir des menaces sur les réseaux sociaux. «Ça nous rend plus fortes», répond en interview le «girl band», qui revendique de poursuivre leur chemin artistique dans l’univers très masculin du metal et déteste par ailleurs les questions sur le voile. «On n’est pas à la «fashion week», tonne Marsya en concert devant son public. «On a choisi de porter le voile sur scène parce qu’on se sent bien avec, c’est un signe de beauté et de paix».
En Indonésie, leur voix commence à porter. «Les gens qui nous écoutent se sentent pousser des ailes, ils se disent qu’ils peuvent aussi repousser les murs, même s’ils viennent d’un petit village», assure Siti.