NatureC’est prouvé, les orques peuvent tuer des baleines bleues
Trois attaques menées essentiellement par des femelles ont été pour la première fois observées au large de l’Australie. La mise à mort est particulièrement violente.
- par
- Michel Pralong
Les orques figurent parmi les plus redoutables prédateurs des océans. Mais peuvent-ils s’attaquer au plus grand animal de la planète, la baleine bleue? La question faisait débat, mais elle est maintenant réglée avec non pas une mais trois attaques et mises à mort observées au large de l’Australie.
Les chercheurs ont décrit avec précision ces chasses dans un article paru dans «Marine Mammal Science». La première, qui remonte à mars 2019, avait pour cible une baleine bleue adulte et en bonne santé mesurant entre 18 et 22 mètres et s’est déroulée au sud-ouest de l’Australie, au large de la baie de Bremer à 60 km des côtes. L’assaut a été mené par une douzaine d’orques, dirigé par huit femelles et un mâle tandis que les plus jeunes observaient. Après une heure d’attaques incessantes, où des lambeaux de chair avaient déjà été arrachés, trois femelles côte à côte ont percuté la baleine sur le flanc, la poussant sous l’eau, tandis que deux autres lui attaquaient la tête. La dernière est entrée dans sa gueule et a commencé à lui dévorer la langue, l’une des parties les plus nutritives. Durant les six heures suivantes, le théâtre des opérations est devenu un lieu de festin, attirant 50 autres orques et de nombreux oiseaux. Les volatiles se sont nourris des restes durant les six jours suivants.
Attaque à 25
La deuxième attaque a été observée le 6 avril 2019, quelques kilomètres plus loin, mais cette fois sur une jeune baleine bleue, mesurant entre 10 et 12 mètres. Les assaillants étaient plus nombreux, 25 orques dont 22 femelles. Comme la première fois, peu avant la mise à mort, une femelle est allée dévorer la langue de la baleine. Durant les trois heures et demi suivantes, 50 orques ont participé au festin, sans montrer de signe de frénésie, soulignent les chercheurs.
La troisième attaque a été observée le 16 mars 2021, toujours dans la même région. Une jeune baleine bleue mesurant entre 12 et 14 mètres de long a tout d’abord été pourchassée sur 25 km par une douzaine d’orques dont au moins six femelles. Plusieurs fois, la baleine s’est arrêtée pour récupérer et à chaque fois les orques lui ont attaqué le rostre et la gueule. Après une heure et demie, une vingtaine d’orques en tout participaient à l’attaque. Puis, comme lors du premier événement, entre 6 et 8 orques ont foncé dans le flanc de la baleine et l’ont poussée à 30 mètres de profondeur et l’ont tuée. Là encore, une cinquantaine d’orques ont participé au festin.
Ces trois chasses nous en apprennent beaucoup sur les tactiques des orques, écrit le «Guardian». Alors qu’on supposait que c’était plutôt les mâles qui s’attaquaient aux grandes baleines, on constate que ce sont les femelles, pourtant plus petites, qui mènent l’assaut. Pour les scientifiques, c’est peut-être dû au fait qu’elles doivent se nourrir plus souvent que les mâles et également nourrir les petits. Les troupeaux d’orques sont dirigés par la femelle la plus âgée et tous les mâles qui en font partie sont ses descendants.
Dû à une recrudescence des baleines?
Pour l’un des auteurs de l’étude, Robert Pitman de l’Oregon State University, le fait que de telles attaques sur des baleines bleues aient été récemment observées pourrait signifier que l’on assiste à un retour à la normale de la population de ces mammifères après des siècles de chasse par l’homme. «Peut-être que ce que nous commençons à voir maintenant, c’est comment l’océan était avant que nous n’éliminions la plupart des grandes baleines». Et à l’époque, elles constituaient peut-être déjà une proie pour les orques. Il y avait 300’000 baleines bleues avant la chasse à la baleine, on estime aujourd’hui leur nombre entre 15’000 et 20’000.
Les orques se nourrissent de poissons, otaries, dauphins, baleines grises et grands requins blancs. On sait maintenant qu’ils n’hésitent pas à s’attaquer à une baleine bleue, même adulte. La seule espèce qui ne figurerait pas à leur menu serait la baleine à bosse, mais adulte, car on a déjà vu des baleineaux se faire dévorer.