Abus sexuelsVaud: deux fois plus de mineures accusent le prédateur présumé
Son procès avait été suspendu il y a un an pour compléter une accusation déjà chargée. Des vidéos et des photos qui le confondent avaient été perdues en cours d’enquête.
- par
- Evelyne Emeri
«Je me voyais comme un bon samaritain. Je faisais ça pour les aider. Je ne voyais pas toutes les dérives avec l’alcool et la drogue. Je suis très généreux. Je suis 100% innocent. Moralement, je suis peut-être responsable. Pénalement, rien ne tient la route. Tout n’est que mensonge. Je les accueillais chez moi pour éviter qu’elles se retrouvent fracassées ou violées dans la rue.»
«Une forme d’altruisme»
Le 9 mars 2021, ces déclarations du prévenu vaudois devant le Tribunal correctionnel d’arrondissement de Lausanne avaient fait frissonner. Accusé d’abus sexuels sur des mineures en rupture, le cerveau du rapt d’un avocat stagiaire lausannois en 1998 ne kidnappe plus le fils d’une riche famille. Il s’est reconverti dans «une forme d’altruisme», avait ironisé le président de la Cour il y a un an. Le lendemain matin, le procès était suspendu à la faveur d’un rebondissement inimaginable. Il reprendra le lundi 28 mars.
Preuves égarées
Unique parent plaignant, la maman d’une des jeunes proies, venue se défendre seule, s’était littéralement liquéfiée en comprenant que les pièces à conviction écrasantes qu’elle avait mis des mois à réunir n’étaient pas en mains de la justice. Des preuves confondantes, confiées à un enquêteur de la police cantonale vaudoise qui les avait égarées. Tenace et déterminée, la lanceuse d’alerte était arrivée le lendemain matin, avant la reprise des débats, avec des copies de ses dossiers. Les juges, la procureure et l’avocat de la défense avaient découvert, effarés, des vidéos et des photos compromettantes qui n’avaient pas été versées au dossier. Stupeur et tremblements également quand ces nouveaux éléments sont dévoilés en audience.
Le doute n’est plus permis sur les penchants de l’abuseur présumé qui nie avoir forcé qui que ce soit. L’on y voit des mineures de moins de 16 ans, ou guère plus, s’alcooliser, fumer des joints, se droguer (ecstasy, MDMA, coke) dans le chalet où vit l’accusé à Vercorin (VS). Désinhibées, les filles sont dénudées, adoptent des poses lascives, aguichent le prévenu dans son jacuzzi, sniffent de la cocaïne sur les fesses de leurs copines de détresse. «C’est des conneries, c’est pour rire», se permettra en live celui qui est en détention provisoire depuis le 1er décembre 2019. Ses propres enfants sont même visibles sur ces mêmes supports.
De 7 à 14 accusatrices
Fils adoptif d’un ancien conseiller d’État vaudois, l’ex-ravisseur de 48 ans aurait abusé à divers degrés de sept mineures. Ça, c’est ce que soutenait l’accusation en mars 2021 avant la suspension du procès. Désormais, elles sont quatorze. Quatorze à raconter la même histoire, tant à Vercorin que dans ses différents domiciles dans le canton de Vaud. Essentiellement des jeunes filles, à une exception près. Elles n’ont parfois que 14 ans. Le prédateur présumé n’a jamais caché aux enquêteurs son attirance pour leur jeune âge.
Toutes sont mineures au moment des faits qui s’étendent de fin 2017 au 1er décembre 2019, le jour où il est interpellé en flagrant délit en Valais. Ce matin-là, il est au lit avec une adolescente de 15 ans, alcoolisée et sous THC. Chacune de ses demandes de libération a été refusée par le Tribunal des mesures de contrainte (TMC) sur préavis du Ministère public. Les risques de récidive, de fuite et de collusion sont jugés trop élevés.
Faveurs et gâteries
Toutes sont des proies faciles et vulnérables, en rupture avec leur famille, en rupture sociale, fugueuses y compris de leur foyer. Autrement dit, paumées et influençables à merci. En face de ces adolescentes qui voient en lui un véritable sauveur, le quadragénaire joue avec elles, les invite chez lui pour des soirées, des jours et des nuits débridés. De l’alcool, de la drogue, un toit et de l’attention. Elles obtiennent ce qu’elles veulent en échanges de faveurs et de gâteries. Les témoignages des accusatrices, qui ont désormais doublé, concordent toujours et corroborent toujours les affirmations de la jeune retrouvée dans les draps du prévenu.
Piégées et dépendantes
L’emprise est telle que le manège durera. En janvier 2019, le Service de protection de la jeunesse (SPJ), devenu la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ), dénonce le quadragénaire pour quatre cas. Il faudra près d’une année aux enquêteurs pour incarcérer le repris de justice qui incitait ces (très) jeunes filles à la débauche et à la dépravation. L’acte d’accusation de la procureure Carole Deletra s’est du reste épaissi avec le récit de celles qui étaient restées silencieuses. 21 pages au lieu de 16.
Alcools forts et stupéfiants
Père de quatre enfants, l’intéressé fera à nouveau face aux juges de Montbenon à Lausanne dès le lundi 28 mars prochain. En tête de la longue liste des infractions retenues contre lui par le Ministère public: les actes d’ordre sexuel. Il lui est reproché d’avoir entretenu des relations sexuelles avec des enfants de moins de 16 ans, avec des personnes dépendantes âgées de 16 à 18 ans, le plus souvent placées en foyer et suivi par la DGEJ, enfin avec des mineurs contre rémunération. Ainsi que reprécisé par le Parquet dans son nouvel acte d’accusation, lors de ses invitations à la maison, alcools forts et produits stupéfiants étaient mis à disposition de ses pseudo-protégées.
Gages et relations monnayées
Des jeux étaient également organisés: du strip poker, en l’occurrence du strip Uno, le jeu «action ou vérité», le jeu de la roulette à shots ou d’autres, assortis de gages à caractère sexuel. L’accusé aurait aussi proposé de coucher et/ou couché avec ces jeunes contre de l’argent et des cadeaux. Il faut encore ajouter à cela des attouchements à l’insu de ses hôtesses durant leur sommeil. Des photos et des vidéos - toujours à connotation sexuelle - de plusieurs d'entre elles ont été prises par le Vaudois.
Entretenu par une septuagénaire
L’homme aux lourds antécédents est également poursuivi pour remise à des enfants de substances pouvant mettre en danger leur santé, infraction grave et contravention à la Loi fédérale sur les stupéfiants (trafic et consommation). Il sera également jugé pour vol, escroquerie, utilisation frauduleuse d’un ordinateur et faux dans les titres dans une cause jointe, couvrant la période d’octobre 2017 à avril 2019. Il aurait tenté de berner une femme bien plus âgée que lui avec laquelle il entretenait une relation sentimentale. Pour rouler au volant d’une Maserati et se servir sur son compte en banque en toute impunité. La lésée a retiré toutes ses plaintes.