WimbledonFallait-il repêcher Fritz après le forfait de Nadal? Le débat
L’Espagnol a ouvert la voie de la finale à Kyrgios en déclarant forfait jeudi soir. Mais n’aurait-il pas été plus juste de repêcher l’Américain, battu en quart de finale? Deux journalistes du «Matin.ch» s’opposent hors-court sur la question.
- par
- Renaud Tschoumy/Mathieu Aeschmann
Renaud Tschoumy
«Bien sûr qu’il aurait fallu repêcher Taylor Fritz. L’Américain a perdu contre un Nadal qui a tout donné… avant d’abandonner le lendemain. N’est-ce pas un peu se ficher du monde? Nadal était au bord de la rupture dans le deuxième set. S’il avait abandonné à ce moment-là, on ne se serait même pas posé la question, et Fritz aurait joué contre Kyrgios ce vendredi. Et ne venez pas me dire que les règlements l’interdisent: ne repêche-t-on pas souvent des «lucky losers» – donc des joueurs éliminés – issus des qualifications pour compléter un tableau principal?
»En admettant ce genre de cas de figure, l’ATP fausse aussi sa propre compétition, qui plus est à Wimbledon. Vainqueur en trois sets de Garin mercredi, l’Australien aura eu trois jours entiers de repos avant la finale (dimanche), alors que son futur adversaire a été contraint de «monter» sur le court ce vendredi.
»Et puis, une telle décision est aussi une injure pour le public, les sponsors et les chaînes de télévision – ces dernières ont payé des droits exorbitants pour pouvoir retransmettre le tournoi londonien. Tous ont payé pour (s’)offrir deux demi-finales, mais ils n’en auront eu qu’une à se mettre sous la pupille.
»Pour toutes ces raisons, il serait grand temps que les instances du tennis fassent machine arrière et se décident à repêcher le perdant en cas de forfait ultérieur de son vainqueur.»
Mathieu Aeschmann
«Les joueurs, Taylor Fritz en tête, ne veulent pas entendre parler de repêchage. «Si je ne suis pas capable de battre Nadal, je ne mérite pas de jouer à sa place», a immédiatement recadré l’Américain alors que la Toile voulait lui inventer une deuxième chance.
»Bien sûr, toute la planète tennis est dévastée d’être privée du match pop-corn de la quinzaine. C’est évidemment une injustice économique pour ceux qui ont cassé leur tirelire en achetant des billets. Mais comme l’a écrit Andy Roddick au cœur du débat vendredi matin: «Parfois, le sport craint. Mais sa pureté vient du fait qu'il n’y aura jamais de script, de garantie ou de seconde chance dans un match. Sacrifier ce principe pour sauver trois heures de spectacle serait un mauvais calcul.»
»A-Rod a tout résumé. Après le sacrifice de la Coupe Davis et des «longs cinquièmes sets», instaurer le repêchage en plein tournoi - les «lucky losers» viennent des qualifications, un autre tableau - représenterait une nouvelle concession au sport business. Une concession qui irait à l’encontre de l’essence du jeu.
»Depuis tout petit, le joueur de tennis se construit en effet à travers la défaite. Elle est son quotidien, la normalité. Chaque week-end, tout le monde perd sauf un élu. C’est une éducation. Voilà pourquoi il faut vraiment n'avoir jamais joué au tennis pour être à l’aise avec l’idée de la deuxième chance. Imaginez un instant que Taylor Fritz ait gagné le tournoi, comment nos descendants auraient-ils regardé et commenté le palmarès de Wimbledon 2022? Son nom, sur le grand tableau vert à l’entrée du Centre Court, aurait toujours été associé à un «mais», une réserve inacceptable, pour lui comme pour tous ceux qui aiment ce sport.»