AstrophysiqueL’EPFL trouve une mesure qui va changer notre vision de l’univers
Les chercheurs ont prouvé que les deux méthodes qui donnent un résultat différent sur la vitesse d’expansion de l’univers sont justes. Il faut donc revoir nos notions fondamentales.
- par
- Comm/M.P.
L’Univers est en expansion croissante. Mais la vitesse à laquelle il se dilate fait débat chez les astrophysiciens. Car leurs calculs diffèrent selon qu’ils estiment le taux d’expansion cosmique en se basant sur l’écho du Big Bang (le fond diffus cosmologique) ou sur les étoiles et les galaxies d’aujourd’hui. C’est ce qu’on appelle la tension de Hubble.
Or, une étude de l’EPFL publiée aujourd’hui dans la revue «Astronomy & Astrophysics» apporte un nouvel élément. L’équipe de Richard Anderson, qui dirige l’unité de recherche Stellar Standard Candles and Distances à l’Institut de Physique de l’EPFL, a réalisé l’étalonnage le plus précis à ce jour des céphéides, des étoiles dont la luminosité fluctue sur une période définie. Si elles sont communément utilisées comme outil de mesure des distances astronomiques, les chercheurs en ont ainsi considérablement amélioré la fiabilité. En l’appliquant ensuite aux données recueillies par le satellite Gaia de l’Agence spatiale européenne, ils sont parvenus à calculer la vitesse d’expansion de l’Univers avec une précision inédite.
Appelée constante de Hubble (ou H0), cette vitesse d’expansion s’écrit en km/s/Mpc, soit en kilomètres par seconde par mégaparsec: un mégaparsec représentant environ 3,26 millions d’années-lumière. L’étude a utilisé une «échelle des distances cosmiques», une méthode qui permet des mesures par échelons. L’étalonnage absolu de la luminosité des Céphéides en est le premier. Il sert ensuite de repère pour calculer la distance d’objets plus éloignés, comme les supernovae, puissantes explosions d’étoiles en fin de vie. Grâce à cette technique, les chercheurs ont ainsi confirmé les résultats obtenus préalablement par l’équipe SH0ES (Supernovae H0 for the Equation of State of dark energy) qui place la constante de Hubble à 73,0 +/- 1 km/s/Mpc.
Une différence de 5,6 km/s/Mpc
La constante de Hubble peut également être déterminée en analysant le fond diffus cosmologique, soit une représentation spectrale de la toute première lumière émise par l’Univers après le Big Bang, il y a plus de 13 milliards d’années, dont le satellite européen Planck a pu fournir des données plus complètes. Avec ce procédé, les calculs donnent une vitesse d’expansion de 67,4 +/- 0.5 km/s/Mpc. Il existe donc une divergence de 5,6 km/s/Mpc. Et c’est ce qui est appelé la «tension de Hubble».
Or, en partant du principe que les résultats des deux méthodes ont été éprouvés et sont justes, cela signifie que c’est notre compréhension de l’Univers et des lois physiques qui le régissent qui n’est pas exacte. Un enjeu de taille, qui rend donc d’autant plus cruciale l’infaillibilité des méthodes employées.
Dans ce contexte, la nouvelle étude de l’EPFL est importante car elle renforce la fiabilité du premier échelon de l’échelle des distances. En améliorant la calibration des Céphéides en tant que traceurs de distance astronomique, elle porte la précision de cet outil à +/- 0,9%, confirmant également la pertinence des mesures réalisées à partir de l’Univers récent. De plus, en collaboration avec l’équipe SH0ES, les résultats obtenus à l’EPFL ont permis d’affiner la mesure de la constante de Hubble.
Comme creuser un tunnel sans comprendre la montagne
Pourquoi une différence de quelques kilomètres à la seconde par mégaparsec, qui peut sembler futile à l’échelle de l’Univers, est-elle si importante? «Cet écart est capital, explique Richard Anderson. Imaginez que vous vouliez réaliser un tunnel en creusant de deux côtés différents de la montagne. Si vous avez bien compris la nature de la roche et que vos calculs sont justes, les deux machines se rejoindront. Si non, c’est qu’il y a un hic, soit dans les mesures, soit dans la compréhension de la montagne elle-même. C’est un peu ce qu’il se passe avec la constante de Hubble. Plus nos calculs sont fiables, plus cette différence de résultats indique que nous n’avons pas compris ce qu’est l’Univers, qu’il n’est pas tout à fait tel que nous le pensions.»
Cette différence a de nombreuses implications. Elle remet en question certaines bases, comme ce qu’est la nature de l’énergie noire, de l’espace-temps, de la gravitation. «Elle nous oblige à revisiter des notions fondamentales, dont dépend notre compréhension générale de la physique», relève encore le chercheur.
Une meilleure mesure de la Voie lactée
L’étude offre d’autres avantages encore. «La précision de ces mesures nous permet de mieux comprendre la géométrie de notre galaxie, la Voie lactée, relève Mauricio Cruz Reyes, doctorant au groupe Anderson et premier auteur de l’étude. Grâce à l’étalonnage précis que nous avons mis au point, nous pourrons mieux mesurer la forme et taille de la Voie lactée, qui est une galaxie à disque plat, mais aussi les distances aux autres galaxies, etc. De plus, en comparant les données de Gaia avec celles de différents autres télescopes, nous avons pu confirmer leur grande fiabilité.»