FootballArdon Jashari, génie de l’espace
À 20 ans, le milieu défensif du FC Lucerne interprète avec beaucoup de maturité les zones d’un terrain de football. Focus sur un patron avec et sans ballon.
- par
- Valentin Schnorhk
Ardon Jashari ne fera sans doute pas partie de la liste que Murat Yakin dévoilera vendredi en vue des rencontres de Ligue des nations (en Espagne et contre la République tchèque) à la fin du mois. Ni dans celle pour la Coupe du monde mi-novembre. Il lui aura peut-être simplement manqué quelques mois. Parce que l’ascension du Lucernois ne répond pas à la norme.
Jashari a 20 ans et au début de l’année, le football suisse l’ignorait encore. Depuis, il a émergé comme titulaire en Super League (à l’arrivée de Mario Frick en Suisse centrale), avant d’honorer sa première sélection en équipe de Suisse M21. Et, désormais, alors qu’il n’a qu’une vingtaine de matches dans l’élite, il porte le brassard de capitaine du FC Lucerne quand Gentner et Schürpf ne sont pas là (donc régulièrement). Choquant? Non, parce qu’Ardon Jashari joue comme s’il avait cinq ou dix ans de plus. Surtout, il a une représentation des espaces qui en fait déjà un joueur à part.
Interpréter la pression pour y résister
Dès ses premières apparitions en tant que titulaire en Super League (il avait participé à deux matches au terme de la saison 2019-20), Jashari est sorti du lot avant tout par sa technique. Gaucher fin, élégant balle au pied, il a très vite séduit pour son style. Puis, il a impressionné par ses qualités. Notamment dans les espaces réduits. De par son poste de milieu défensif, il est le joueur que l’on aime toucher pour sortir de la pression.
Le Lucernois sait l’interpréter. Autrement dit, il sait y répondre en fonction de la situation. Cela implique aussi de savoir s’en dégager. Par exemple, lorsque l’adversaire presse à deux attaquants, il peut décrocher à la hauteur de ses défenseurs centraux tout en prenant l’information pour se mettre face au jeu. L’idée? Soit de permettre à ses coéquipiers de se libérer du marquage, soit de devenir l’homme libre qui n’est pas suivi.
Ce n’est pas toujours évident. Qu’importe. Jashari a les déplacements de celui qui accepte de recevoir le ballon et qui veut être une solution pour ses partenaires. En tant que pointe basse du losange lucernois (ou du 4-3-3 aligné à Winterthour samedi), il incarne le relais naturel pour ses défenseurs, là où les autres milieux s’inscrivent surtout dans la verticalité.
Cela suggère d’être parfois marqué de près, parce qu’il est désormais ciblé. Les entraîneurs adverses pensent leurs plans pour qu’il ne soit pas touché, ou du moins dans des positions inconfortables. Mais Jashari a un certain talent pour y résister. Dos au but, il trouvera une solution pour sortir de la pression en une ou deux touches. Face au jeu, il a la technique pour éliminer son vis-à-vis. Surtout, il peut s’aider d’un certain coup de reins sur les premiers mètres.
Plus globalement, Ardon Jashari est un joueur de densité. Cela correspond à ce Lucerne qui cherche l’intensité, le jeu direct et axial, la présence sur les deuxièmes ballons. L’objectif de la formation de Mario Frick est de se frayer le chemin le plus direct vers le but. À Winterthour samedi, cela l’a même mené à s’infiltrer dans l’espace qui s’ouvrait à lui en conduite de balle. Avec, à la clé, deux passes décisives. Signe qu’il peut aussi être décisif.
Voir loin pour penser plus grand
Brassard au biceps, Ardon Jashari n’a pas de peine à interpréter le rôle de capitaine qui lui a été confié. Son jeu est celui d’un leader: il demande la balle, donne des indications par la voix et par le geste et fait le choix qui lui paraît le plus juste, plutôt que celui qui lui paraît le moins risqué. Concrètement, il s’appuie beaucoup sur son jeu long.
Il y a une forme de logique: sa qualité de passe est excellente en la matière. Surtout parce qu’elle est généralement réussie. Cela ne veut pas dire qu’elle arrive toujours dans les pieds d’un coéquipier, mais simplement qu’elle remplit la fonction qu’elle revêt. Dans l’approche lucernoise, le jeu long vise surtout à faire reculer la défense adverse. Il peut permettre de trouver un attaquant dans la profondeur, mais, plus souvent, il est renvoyé dans des conditions difficiles par défenseur qui court vers l’arrière. Alors le deuxième ballon est plus facile à disputer par le bloc lucernois qui avance.
Aussi, ce jeu long est intéressant parce qu’il est bien exécuté. Les passes sont souvent tendues et ne montent pas trop dans le ciel. Elles donnent donc une continuité au jeu essentielle lorsque l’idée est de donner du rythme et de l’intensité. Le contrôle peut donc se faire dans la course, plutôt qu’en étant arrêté. Lucerne en a besoin. C’est en partie ce qui lui permet d’étouffer son adversaire, lorsque tout se passe comme prévu.
Couvrir plutôt que courir
Si Mario Frick confère autant de responsabilités à Jashari, ce n’est pas un hasard: il fait preuve de maturité. Et notamment dans son jeu. Surtout du point de vue défensif. C’est ce qui le distingue et le rend plus que légitime à ce poste, dans une équipe qui accepte de défendre de grandes espaces dans son dos, puisqu’elle a l’intention de placer un bloc relativement haut.
Plus concrètement, Ardon Jashari anticipe beaucoup. Son placement est le plus souvent préventif. Lorsque Lucerne est en possession, il se montre disponible lorsqu’il se situe à proximité de la zone du ballon. Mais le reste du temps, il adapte son positionnement pour protéger au mieux son équipe d’une transition offensive adverse. Par exemple, si un défenseur central avance en conduite de balle, il viendra prendre sa place et le couvrir.
Aussi, il sait avoir un coup d’avance pour les deuxièmes ballons. Lorsqu’une longue passe lui passe par-dessus, il s’empresse de se placer dans la zone où la balle risque de retomber. Ou, lorsqu’un de ses partenaires est éliminé, il cherche à se placer dans la zone où le duel peut être évité. Soit avant celui-ci, soit après. Avec toujours la même intention: ressortir le ballon proprement. Parce que la pression ne lui fait pas peur.