Rapt d’enfantLa justice vaudoise a tranché: Camille reste en Suisse
Enlevée en France par sa maman en 2011, retrouvée à Morges fin février, elle ne rejoindra pas son père près de Paris pour l’instant.
- par
- Evelyne Emeri
Le 18 mars au matin, le parvis de la Justice de paix du district de Morges (VD) était envahi par des journalistes, des photographes, des caméramans, suisses et français. Tous y attendaient le père de la fillette devenue grande – elle a eu 16 ans le 28 octobre 2021 -, arrivant de la région parisienne, mû par le fol espoir de retrouver sa petite qu’il n’a plus revue depuis Noël 2010. Depuis l’enlèvement qui a tenu en haleine la France entière à l’époque: l’affaire de la petite Camille, volatilisée, perdue, soustraite.
Des médias espérant aussi figer la mère à la sortie de son fourgon carcéral venu depuis la prison de Lonay, située à quelques kilomètres de là. La ravisseuse fichée par Interpol y est incarcérée après avoir été confondue fin février par une patrouille de la PRM (Police Région Morges). «Lors d’un contrôle de routine, un contrôle ordinaire», a rapporté, elle-même, la Française (47 ans) à son défenseur.
Le statu quo
Cette audience visait un seul but. Confirmer (ou infirmer) les mesures urgentes prises en amont - et sans confrontation - par cette même autorité civile s’agissant du sort de la «petite» Camille, enlevée dans le Var (F) par sa mère à l’âge de 5 ans: soit le maintien provisoire de sa domiciliation en Suisse. La jeune Française allait-elle dès lors rester ici où elle a vécu clandestinement durant environ cinq ans après avoir traversé d’autres pays et où elle est scolarisée sur La Côte? Ou repartirait-elle en France auprès de son papa pour renouer, (re)construire une relation, découvrir qui est cet homme, cet inconnu? La justice vaudoise a tranché et estimé que le statu quo était la meilleure décision à ce stade afin de ne pas brusquer la victime bien innocente de ce rapt qui aura perduré. Camille ne quittera pas la Suisse, pour l’instant.
L’intérêt suprême de l’enfant
Au centre de toutes les attentions de la juge de paix en charge de cette douloureuse et délicate affaire, c’est bien sûr l’intérêt suprême de l’enfant qui a prévalu pour déterminer si son placement était adapté aux circonstances. Depuis l’arrestation de sa fugitive de mère, l’adolescente séjourne dans un lieu tenu secret pour des raisons évidentes de protection et de sécurité. Elle a été confiée à la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ) du canton de Vaud.
C’est la DGEJ qui devait évaluer l’adéquation du rapprochement père-fille après onze ans de séparation totale, quand bien même Camille a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas rencontrer son papa actuellement. Son mandat sera toutefois bientôt remis en mains du Service des curatelles et des tutelles professionnelles (SCTP). Tandis que l’avocate lausannoise Me Aude Parein-Reymond, nommée d’office et en extrême urgence comme curatrice, continue de la représenter juridiquement.
«La Suisse m’empêche de la voir»
Ce premier verdict de la Justice de paix a été envoyé aux parties jeudi passé 7 avril et stipule clairement que Camille ne rentrera pas en France auprès de son père (74 ans) maintenant. Un père que nous contactons et auquel nous apprenons la nouvelle. Énième choc pour le commandant de bord à la retraite, Alain Chauvet. Entre rage et lassitude, il dira quelques mots au matin.ch. Il ne comprend pas. Il ne peut pas comprendre: «J’ai subi les pires horreurs. Je ne m’attendais pas à un miracle, mais en toute logique, il fallait renvoyer tout cela en France. Qu’on me rende ma fille! Elle est née en France, je suis Français de sang et de sol et je suis son père».
Plus loin: «Je n’ai rien demandé à la Suisse, pourquoi dois-je la subir en plus de mon malheur? Elle va commencer une nouvelle année scolaire et, en octobre 2023, elle sera majeure. La mère aura gagné sur toute la ligne. On fait plaisir à une délinquante. Le père, on s’en fout. Elle est protégée. Et moi qui n’ai rien à me reprocher, surtout vis-à-vis de la justice, je suis refoulé, rejeté. La Suisse m’empêche encore de voir ma propre fille alors qu’elle lui accorde le privilège de pouvoir la recevoir en prison».
«Nous nous opposons à son extradition»
La France a demandé l’extradition de sa ressortissante auprès de l’Office fédéral de la justice (OFJ). Si l’OFJ devait l’accepter, la quadragénaire, en cavale durant onze ans, devra purger les peines de prison cumulées qui l’attendent dans l’Hexagone. Ce que nous confirme son avocat, Me Benjamin Schwab: «Elle a été jugée trois fois par défaut pour non-représentation de mineure, dénonciation calomnieuse et soustraction d’enfant. Elle a écopé au total de six ans ferme. Le premier jugement étant prescrit, il lui en reste 5».
Me Schwab d’ajouter: «Nous devons nous déterminer encore cette semaine auprès de l’OFJ. Nous allons nous opposer à son extradition. Sa fille est en Suisse. Elle veut pouvoir demeurer à proximité de son enfant. Ma mandante a été autorisée à recevoir des visites de sa fille en prison. Je ne sais pas si elles se sont déjà vues. Si ce n’est pas le cas, ça ne devrait pas tarder».
Recours pour la libérer
«L’Office fédéral de la justice (OFJ) a en outre prononcé la détention extraditionnelle de la mère de Camille, autrement dit son maintien en détention pendant la procédure helvétique en cours. Nous avons recouru auprès du Tribunal pénal fédéral à Bellinzone (TI), précise le conseil de la ravisseuse. L’OFJ a conclu au rejet de notre recours. Nous attendons beaucoup de la décision de Bellinzone qui pourrait rendre sa liberté à ma cliente.» Les chances de succès apparaissent bien maigres. À l’inverse, en cas de victoire, cela donnerait un signal crucial: mère et fille pourraient poursuivre leur existence en Suisse légalement. Et, partant, l’extradition de l’ingénieure en aéronautique pourrait être refusée par l’OFJ, omnipotent dans cette affaire d’enlèvement hors-norme.