JuraChoindez: «Je vois encore cette fonte couler»
Avant la diffusion d’un reportage enrichi de nouveaux documents, un cinéaste et deux ouvriers retournent dans une ancienne fonderie d’un autre âge.

Du métal en fusion, il n’y en a plus à l’ancienne fonderie Von Roll de Choindez, un village industriel rattaché à Courrendlin (JU). Quand le cinéaste Michael pousse la porte menant au haut-fourneau, lui qui a effectué son apprentissage dans ce décor dantesque, les deux ouvriers retraités qui l’accompagnent se remémorent une vie de travail: «La camaraderie était formidable, l’ambiance de travail exceptionnelle», disent-ils d’une même voix.
Dans un dédale de tapis roulants chargés de coke ou de charbon, l’entraide était un maître-mot «On timbrait pour stopper le décompte, on réparait une machine pour un collègue hors du temps de travail et on timbrait pour retourner à sa place», rapporte Jean-Marc Debard.
À 11 h 39
La dernière coulée de fonte remonte au 18 octobre 2018, à 11 h 39. Quand il travaillait à la fonderie, en 1992, Michael Beuchat filmait tout ce qui bougeait en 8 mm. De ses enregistrements, ce mécanicien de précision a fait un film: «Choindez, de feu et de fonte», resté 16 semaines au cinéma, principalement à Delémont, pour un total 3700 spectateurs. Rebelote trois ans plus tard, dimanche prochain au Cinoche de Moutier, dans une version enrichie de 11 minutes.
Les images ajoutées montrent la démolition à l’explosif par l’armée de plusieurs bâtisses du village pour élargir la route cantonale, en 1982 et 1983. Elles ont refait surface grâce à une résidente de Courgenay (JU), Janine Raval, qui travaillait chez Von Roll. Sur des photos qu’elle a prises, son grand-père côtoie un homme tenant une caméra Super 8…
Janine Raval a retrouvé l’homme à la caméra dans une petite ville italienne. C’est par ce cheminement que les bobines de film sont parvenues à un autre citoyen de Courgenay, Michael Beuchat, lequel a interviewé un ouvrier engagé au four à recuire.
«Je vois encore cette fonte couler…», lâche Étienne Crelier, responsable de la fusion jusqu’en 2008. Choyés par des prestations comme l’essence ou l’assurance maladie, les ouvriers s’identifiaient à l’entreprise, comme ceux du cigarettier Burrus à Boncourt. Le jour où on l’a informé d’une panne, Étienne Crelier a raccourci ses vacances pour la réparer. Un mois plus tard, il était licencié par la direction devenue allemande, à 18 mois de la retraite.
Il y avait tout sur le site, y compris une station d’épuration. La réserve de ferraille se trouvait à la «Masserplatz» et les gueuses de fonte étaient à la «Sapotplatz», Von Roll étant une entreprise soleuroise. «Le pire travail, c’était face à une fonte à 1400 degrés, en slip devant une fenêtre ouverte, par une température extérieure de -15 degrés», rapporte Étienne Crelier.
Les temps changent: «Faire fonctionner le four coûterait beaucoup trop cher en électricité», remarque Jean-Marc Debard. Mais la nostalgie est présente: «Si je devais refaire ma vie, je la referais ici», indique Étienne Crelier. En précisant: «Mais avec d’autres dirigeants, des gens du métier». Les deux retraités saluent le travail de mémoire réalisé par Michael Beuchat, un ancien collègue.
Dimanche 20 novembre à 17 heures au Cinoche de Moutier.