FootballYann Sommer est-il le meilleur gardien de l’histoire du foot suisse?
Le portier de la Nati, que l’OGC Nice veut prendre à Mönchengladbach, est courtisé. Parce qu’il est le meilleur? Une question abrupte et complexe, mais qui colle aux performances du portier helvétique, sur la durée.
- par
- Daniel Visentini
Évidemment, tout cela est complexe, réducteur, incomparable sans doute. Il y a les circonstances, les époques, les opportunités, la subjectivité, bien sûr. Mais en filigrane, à la force des performances, de la longévité, des accomplissements personnels et collectifs, la question se faufile jusqu’à se frayer un chemin en pleine lumière: Yann Sommer est-il le meilleur gardien de l’histoire du football suisse?
Actuellement, ces jours, il est au cœur d’une âpre négociation. Entre le Borussia Mönchengladbach, son club avec lequel il est sous contrat jusqu’en juin 2023, et l’OGC Nice de «Lulu» Favre, donc, avec qui il aurait déjà un accord de principe. Mais il semble que le club allemand veuille le garder, ou fasse comme si, pour faire monter les enchères, tandis que Nice a fait de Sommer sa priorité. Tout le monde veut le portier suisse. Parce qu’il est le meilleur?
L’émotion du 28 juin 2021
Répondre dans l’émotion, c’est voyager dans le temps, c’est revenir au 28 juin 2021, à Bucarest, à ce tir au but de Kylian Mbappé, à ce petit geste de la main gauche, au plongeon sur la droite et à cette formidable claquette, ferme, de la main de Sommer, qui envoie la Suisse en quart de finale de l’Euro. Ce soir-là, à cette seconde-là, Yann Sommer est le meilleur gardien de l’histoire du foot suisse, il est même le meilleur gardien du monde, sans discussion possible, pour tous les supporters de la sélection helvétique, et même pour les autres qui ont vu les scènes de liesses partout en Suisse. C’est vrai, il a tout pour lui, Yann, en plus de ses performances depuis plusieurs années, en sélection comme en club. Le beau Yann. Le chouchou de toutes les supportrices. Gueule d’ange, sourire ravageur, maîtrise des langues, charme naturel. Cela vous fait un héros.
Mais cela fait-il de lui le meilleur portier suisse de l’histoire pour autant? Thierry Barnerat, instructeur FIFA pour le poste de gardien, analyste vidéo personnel de Thibaut Courtois, depuis 18 mois, est un expert en la matière. Alors, Yann Sommer, le meilleur de l’histoire du foot suisse?
«Je suis obligé de dire qu’on ne peut pas comparer les époques, tranche-t-il d’emblée. Pour plusieurs raisons. D’abord, parce que le football évolue. Par exemple, prenons trois portiers de l’équipe de Suisse: Pascolo, Benaglio et Sommer. Les trois, avec la Suisse, ont toujours livré des performances de top niveau dans les grands tournois. Aucun n’a jamais précipité la défaite de la sélection par une bourde en phase finale d’un Euro ou d’un Mondial. C’est leur point commun. Mais pour le reste, tout a changé, en permanence, rendant les choses incomparables.»
Des époques différentes
D’accord. Mais incomparables à quel point? «À l’époque, de Marco Pascolo, le jeu au pied n’en était qu’à ses balbutiements pour les gardiens, explique le spécialiste. Pour résumer, là où Yann Sommer a les deux pieds par nécessité du foot actuel, où tout va plus vite et où les schémas de relance incluent les gardiens, il ne suffisait que d’un demi-pied pour Pascolo. Pour contrôler et dégager. Parce que c’était comme cela à l’époque. Pour Diego Benaglio, nous en étions encore à des théories qui voulaient que le gardien ne s’éloigne pas trop des poteaux. Aujourd’hui, le gardien défend des zones. On a pu le voir contre l’Italie, à Bâle, l’automne passé. Yann est positionné, il voit un long ballon et il va sortir à 14 mètres de sa ligne de but pour couper la trajectoire et devancer l’attaquant italien. Cela n’existait pas avant, cette idée de défense d’une zone pour un gardien. Donc oui, Yann est le plus complet des trois, sans discussion. Mais on ne peut pas comparer, puisque c’est l’évolution même du foot qui veut ça.»
On insiste. Intrinsèquement est-il possible, par-delà les époques, de relever les qualités pures des uns et des autres? Et cela fait-il sens, au fond? «C’est compliqué, soupire Barnerat. Parce qu’on ne demande pas les mêmes choses en fonction des époques. On pourrait parler de la personnalité. Personnellement, je pense que Marco Pascolo était le plus fort mentalement, dans la gestion des émotions. Courtois est comme ça aussi. Après, on peut parler des critères qui sont en vigueur actuellement, ceux sur lesquels je m’attarderais si je devais recruter, aujourd’hui, un gardien pour un grand club.»
Le critère de la taille
Des critères modernes pour une lecture transversale de l’histoire. Quels sont-ils et comment peuvent-ils nous éclairer?
«J’en retiendrai trois essentiels, dit Thierry Barnerat. D’abord, et cela ne sert pas Yann Sommer, la taille. Il fait 182 ou 183 centimètres. Comprenons bien: la taille ne sert pas pour les balles aériennes, contrairement à une idée reçue. Mais pour la visibilité. Dans le foot actuel, il y a beaucoup de grands gabarits qui se massent devant le gardien, notamment sur les balles arrêtées. Être grand permet aussi au portier de mieux voir. Être grand, cela offre aussi une envergure sur les interventions. Ce que fait Yann, avec sa taille, est remarquable. Parce que sur une parade, il doit obligatoirement pousser exactement au bon moment, avec le geste parfait, sans marge d’erreur, pour compenser sa taille, par exemple face à un Thibaut Courtois qui fait 2 mètres.»
Très bien. Mais alors, si Sommer fait de pareils exploits en ne mesurant «que» 182 centimètres, il serait donc avec 18 centimètres de plus le meilleur gardien du monde. CQFD? «Dans l’absolu, oui, s’amuse Barnerat. Mais ce n’est pas aussi simple. Être plus grand, cela implique parfois un léger déficit de mobilité ou de coordination, comme on peut le voir chez certains gardiens, même à haut niveau. Donc on ne sait pas.»
Pour la taille, on est fixé. Sommer, même s’il ne répond pas totalement aux canons actuels, s’en tire avec les éloges du technicien. Mais il reste deux critères encore en lice. «Justement, la coordination en fait partie, lance Barnerat. Sur ce plan, elle est fantastique chez Yann, c’est sans doute le meilleur des trois dans ce domaine.» Et le dernier critère? «La personnalité. Sur ce point, je penche plutôt en faveur de Pascolo.»
Le meilleur en activité
Bref, si comparaison n’est pas raison, si les époques, si différentes, interdisent un «classement», Yann Sommer n’a pas de souci à se faire pour le présent. C’est bien ça, Thierry Barnerat?
«Bien sûr, il est le meilleur gardien suisse en activité et de loin. Il est à des années-lumière devant Kobel, par exemple. Pour moi, le No 2 actuel est Jonas Omlin.»