Jura bernois: Le forgeron de Notre-Dame fabriquera cent haches

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Jura bernoisLe forgeron de Notre-Dame fabriquera cent haches

L’artisan retraité Serge Turberg est le seul capable de façonner des outils comme au Moyen Âge, dans sa forge de Malleray.

Vincent Donzé
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Vincent Donzé

Sa forge résonne des coups de marteau portés comme un métronome sur le métal rougi. À Malleray, à l’arrière de sa villa, Serge Turberg (62 ans) ne reproduit pas seulement les gestes de son grand-père, observés à Crémines quand il était gamin: ils sont ancestraux et remontent au Moyen Âge. Son but: fabriquer cent haches qui serviront à tailler les poutres de Notre-Dame, la cathédrale de Paris incendiée le 15 avril 2019.

«Turberg, ça s’écrit sans «H»…», plaisante le roi des haches. Pour façonner ses outils, Serge Turberg dispose d’un foyer et, à deux pas de la braise, d’une enclume, la reine de la forge. «Sans elle, on ne fait rien», souffle l’artisan.

Appeler les autres

Son enclume pèse 384 kilos, achetée d’occasion à Develier il y a 28 ans, pour 4000 francs. Quand ils se mettent à frapper le métal à deux ou à trois, personne ne communique autrement que par le bruit du marteau «tapé à côté pour appeler les autres». Ils tiennent la masse à 80 ans, et c’est à Serge de s’accrocher…

Son atelier est propre en ordre. chaque chose à sa place: «Je ne peux pas travailler dans le cheni: quand tu vois un établi en désordre, c’est comme ça dans ta tête», estime-t-il.

Mal au dos

Ceux qui manieront ses haches dans du chêne ne seront pas bûcherons. «L’outil doit bien couper, bien tenir dans la main et ne pas faire mal au dos», résume le forgeron. Les grandes haches font avancer la découpe, mais les siennes ne dépasseront pas deux kilos.

«Pour avoir du rendement, il faut travailler vite, juste et bien», dit-il. Pour un équarrissement semblable à celui du XIIIe siècle, il faut soigner les cupules, ce dessin laissé dans le bois par le coup de hache.

C’est par l’association «Charpentiers sans frontières» que Serge est entré dans le chantier du siècle, après un symposium ou il s’est distingué en réalisant avec une équipe internationale une hache suédoise jamais reproduite jusque-là. «Cette association travaille bénévolement pour des chantiers d’intérêt public: un château, une ferme, une église…», précise-t-il.

Château normand

L’office national français des forêts a sélectionné 1300 chênes. Serge a passé une semaine avec 24 charpentiers dans la cour d’un château normand pour reproduire un élément triangulaire de la charpente de Notre-Dame, la ferme No 7. La flèche de Viollet-le-Duc, c’est autre chose: «Elle est plus tardive: les bois étaient sciés et non plus équarris», indique Serge Turberg.

«Coupez du bois, faites des poutres et assemblez-les», a lancé Serge Turberg. Lui n’est pas équarrisseur, ni charpentier. Ses haches permettront d’obtenir le bon rayon et la bonne cupule. Le forgeron établira un rapport final sur les essais effectués, sur l’outillage et le rendu du travail à la surface des poutres, mais il n’étalera pas sa vie.

L’artisan garde pourtant intacte la mémoire de son enfance à Crémines, quand un forgeron fabriquait des charrons et un sellier des matelas ou des genouillères de hockey. Dans une famille pauvre de quatre garçons, son père travaillait avec des outils, comme il dit, «usés jusqu’au manche».

«Des Turberg sont devenus professeur ou avocat, j’avais des sacrées pointures assises à mon banc, mais ma vocation était manuelle: on fait selon son éducation et ce qu’on a à disposition», dit-il.

Va-et-vient

C’est lui, Serge, qui reproduira le mieux les gestes des aïeux, avant de fabriquer de meilleurs outils. Ce forgeron s’est rabattu sur la taillanderie, qui consiste à fabriquer des outils qui taillent comme une hache, au contraire d’un outil qui tranche dans un mouvement de va-et-vient, comme un couteau, ou d’un outil qui percute, comme une pioche.

En 1943, la hache s’est faite industrielle. Puis la tronçonneuse l’a concurrencée dès les années 60. «Quel prix demander pour une hache artisanale qui prend une journée de travail?» interroge Serge Turberg. Ce sera 370 francs quand il en faudrait 500. Le métier de forgeron tend à disparaître, sauf pour les fers à chevaux ou pour réparer un tracteur.

Le forgeron garde les pieds sur terre et les mains sur le fer, mais «il y a un peu de fierté à travailler en relation avec cette vieille dame», dit-il en évoquant Notre-Dame et sa charpente baptisée «la forêt». N’empêche que lorsqu’il aide à la reconstruction d’un chalet d’alpage, Serge Turberg a tout autant de plaisir.

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