ClimatLes stars pollueuses montrées du doigt
De plus en plus, les réseaux sociaux permettent de suivre les déplacements aériens des plus riches, qui se retrouvent sous le feu des critiques pour leur empreinte carbone.
- par
- Christophe Pinol
Une fois n’est pas coutume, Taylor Swift s’est encore hissée, la semaine passée, en tête d’un nouveau classement. Mais celui-ci, la chanteuse s’en serait bien passée…
Après avoir maintes fois trôné en tête des charts, et avoir notamment été élue par Forbes «célébrité la mieux payée en 2019», elle est cette fois épinglée pour être celle qui a le plus utilisé son jet privé depuis le 1er janvier 2022. Autrement dit, on tient la personnalité la plus pollueuse de la planète.
Si la plupart des gens utilisent des plateformes comme Flightradar24 pour vérifier que l’avion de leurs proches attendus à l’aéroport n’a pas de retard, de petits malins ont commencé à s’en servir pour suivre les trajets des puissants de ce monde, entre célébrités, milliardaires et politiciens.
But de l’opération? Dénoncer l’utilisation de jets privés pour des voyages qui pourraient aisément s’effectuer avec des modes de transports moins polluants. À l’heure où les alertes d’urgence climatique se multiplient partout sur la planète, la polémique enfle autour de l‘usage de ces avions privés.
C’est d’ailleurs un vol de Kylie Jenner, en juillet dernier, qui avait incité l’agence de marketing Yard à établir cette liste des célébrités les plus néfastes à l’environnement. L’influenceuse s’était livrée à un saut de puce d’une durée d’à peine 17 minutes, dans la banlieue de Los Angeles, alors que le même trajet en voiture lui aurait pris trois quarts d’heure.
Basé sur les données fournies par l’un des principaux outils de suivi de vols actuel, le compte Twitter Celebrity Jets, le classement fait figurer en deuxième position le boxeur Floyd Mayweather mais aussi des personnalités comme Steven Spielberg (6e) ou Oprah Winfrey (9e).
Un suivi parfaitement légal
À l’origine de ce compte rassemblant aujourd’hui 112 millions d’abonnés, un étudiant de 19 ans, Jack Sweeney. Il avait commencé par suivre le jet privé d’Elon Musk sur un compte spécifique, @ElonJet, en 2020, avant de décliner son action à une trentaine d’autres personnalités: Mark Zuckerberg, l’acteur Mark Wahlberg ou encore des oligarques russes. Le tout, en parfaite légalité puisque les données de géolocalisation récupérées par ces comptes sont publiques.
La loi américaine exige que les avions se trouvant dans certaines zones soient équipés d’un système par satellite chargé d’envoyer régulièrement la position de l‘appareil aux contrôleurs aériens. Ce qui permet à un site comme Flightradar24, avec ses 34’000 récepteurs au sol à travers le monde, de dresser une cartographie complète de la circulation aéronautique mondiale. Et donc à l’agence Yard de publier des informations assez complètes.
On y apprend ainsi que du 1er janvier 2022 au 19 juillet, le jet de Taylor Swift a effectué 170 vols représentant 22’923 minutes passées en l’air (15,9 jours); avec des émissions carbones atteignant 8308 tonnes, soit 1185 fois plus que celles d’un passager moyen; et que les vols de la chanteuse ont chacun duré en moyenne 80 minutes, le plus court n’ayant pas dépassé 36 minutes, entre l’État du Missouri et la ville de Nashville.
Le message est donc clair: les plus riches sont conviés à revoir à la baisse leur train de vie et le bilan carbone qui l’accompagne. Car selon un récent rapport du site «Transport & Environment», le passager d’un jet privé pollue de 5 à 14 fois plus que celui d’un vol commercial. Et 50 fois celui d’un train.
5 vols dans la même journée pour Bolloré
Mais autour de Jack Sweeney, d’autres voix s’élèvent pour dénoncer ces pratiques. Déjà celle de l’Américain Dan Streufert, qui a créé le site ADS-B Exchange. Si populaire que son administrateur annonce en vivre. En France, on trouve aussi deux comptes Twitter, tous deux nommés en «hommage» au milliardaire Bernard Arnault, directeur général du groupe LVMH, deuxième du classement Forbes des personnes les plus riches au monde en 2021: @laviondebernard et @i_fly_Bernard.
Ce dernier dénonçait encore il y a quelques jours les 5 vols réalisés en l‘espace de 24 heures par un de ces milliardaires: de Paris à Palerme, de Palerme à Nice, de Nice à Paris, et enfin de Paris à Toulon, aller-retour. «Hier, quintuple vol de l’avion de Vincent Bolloré dans la même journée! C’est un record depuis l’ouverture de ce compte», pouvait-on y lire le 9 août.
«Ce que j’essaie de dénoncer, c’est leur utilisation des jets privés comme des taxis», expliquait à l‘AFP son gestionnaire, un ingénieur aéronautique de 35 ans qui préfère garder l‘anonymat. Alors forcément, la pratique a de quoi irriter les célébrités incriminées. Taylor Swift en a évidemment pris pour son grade à la suite de la publication du classement Yard, et on a vu surgir quantité de mèmes se moquant de ses débordements, comme ici:
Ou encore ici:
Steven Spielberg s’est fait traiter de «pollueur et de criminel» pour avoir emprunté un jet privé durant 28 minutes et Kylie Jenner avait déclenché un véritable tollé en publiant ce post sur Instagram: «Tu veux prendre le mien ou le tien?» avait-elle écrit pour accompagner la photo de son avion positionné à côté de celui de son petit ami, le rappeur Travis Scott.
La parole à la défense
Certains avancent néanmoins des arguments de défense. Le groupe Bouygues précise ainsi que les émissions de CO2 de l’avion de Martin Bouygues sont compensées par des projets de reforestation. D’autres, comme Taylor Swift, affirment «prêter régulièrement leur jet», soulignant ainsi un point important: rien ne prouve effectivement que leur propriétaire soit à chaque présent dans les vols répertoriés.
Certains semblent cependant avoir trouvé la parade pour passer sous les radars. Dans son bilan du mois de juillet, le compte @i_fly_Bernard expliquait ainsi que le bad buzz liés aux nombreux déplacements de Bernard Arnault en mai dernier avait un temps poussé le patron de LVMH à abandonner son jet privé, probablement pour se rabattre sur des avions de location, et ainsi faire profil bas.
Elon Musk, lui, a carrément tenté de soudoyer le jeune Jack Sweeney en lui proposant 5000 dollars pour clore son compte. Une offre refusée par l’étudiant qui a expliqué avoir reçu plusieurs demandes de fermeture de compte mais n’en avoir accepté qu’une seule. Celle de l’homme d’affaires Mark Cuban, propriétaire de l’équipe de football américain des Mavericks de Dallas et patron du studio de production Magnolia Pictures. Selon le site CNBC Make It, qui a épluché les conversations des deux hommes sur Twitter, le milliardaire avait simplement proposé à l’étudiant «son amitié, ainsi que quelques conseils financiers en échange de la fermeture du compte». Et après une rencontre, le compte avait effectivement cessé de répertorier les déplacements de Mark Cuban. Moralité, si l’éthique de l’étudiant semble avoir un prix, ce n’est pas celui de l’argent…