Funérailles d’Elizabeth IIDeux Fribourgeoises dans la file: «Nous sommes fans et nous assumons»
Lisa et Sandrine sont venues exprès à Londres pour rendre hommage à la reine. Elles nous racontent leur parcours de 7 heures pour accéder au cercueil.
- par
- Fabio Dell'Anna, Londres
Buckingham Palace est entouré de barrières et aucune voiture à l’horizon, ce vendredi 16 septembre. Le soleil a du mal à percer à travers les nuages alors qu’une masse de gens s’avancent calmement vers Green Park pour déposer des fleurs. La foule suit les ordres des autorités installées tous les dix mètres pour indiquer la direction à prendre. On entend parler principalement anglais, mais aussi italien, espagnol, français. Parmi les francophones, on retrouve Lisa, 27 ans, et Sandrine, 36 ans. Les deux Fribourgeoises travaillent dans une imprimerie à Bulle et se sont envolées la veille pour dire un dernier adieu à la reine Elizabeth II, décédée le 8 septembre 2022. «Beaucoup de gens se sont foutus de notre gueule, mais on s’en fiche de ce qu’ils pensent. Nous sommes fans et nous assumons. Pour nous, il était important de venir lui rendre hommage», confie Lisa.
Ce vendredi commence par un petit imprévu. «Nous pensions que des bouquets seraient en vente sur le site, mais il n’y avait rien. Nous étions passées devant une fleuriste, mais nous étions certaines d’en trouver plus tard. Grave erreur», rigole Sandrine avant d’ajouter: «Nous avons cherché pendant une heure avant de finalement trouver un supermarché.»
«Tout ce monde, ça m’a hallucinée»
Une fois prêtes, la polygraphe et sa directrice, toute de noir vêtue, ont suivi le chemin, une promenade plaisante de 45 minutes à travers le parc. Au bout, une étendue pleine de fleurs multicolores. «Tout ce monde, ça m’a hallucinée. C’est incroyable», s’exclame Sandrine. Elles déposent avec émotion leurs cadeaux sous un arbre, ainsi qu’une carte illustrée par une bougie. «Certains de nos collègues l’ont aussi signée», soufflent-elles. Et même si cet instant est un beau moment pour les deux Romandes, «ce n’est rien en comparaison» à ce qu’elles ont vécu le jour d’avant. C’est au bord d’une terrasse pleine à craquer, en face du palais de Westminster, qu’elles nous racontent cette aventure.
À peine arrivées jeudi à Londres, elles se rendent à l’abbaye pour voir la file qui mène au cercueil de la Souveraine. «Nous avons été surprises de voir que cela avançait rapidement. Aucune pluie n’était annoncée, donc nous avons tenté notre chance», explique Lisa. Les Suissesses ont un peu «galéré» pour trouver les bracelets nécessaires qui permettaient d’accéder à la queue. «Après dix questions, on nous a dit qu’il fallait aller tout au bout pour les recevoir.» Elles se rendent donc à London Bridge. Les sésames au poignet, elles marchent environ 5 kilomètres et attendent 7 heures. Alors que ce samedi, il faut s’attendre à 24 heures. «Nous sommes arrivées à 11 h 30 et à 18 h 40 nous étions dans le Westminster Hall (ndlr: la plus ancienne salle du palais de Westminster où repose le corps de Sa Majesté).»
Alors que David Beckham a dû attendre douze heures le lendemain, Lisa et Sandrine sont plus chanceuses. Cette dernière détaille: «C’était vraiment comme une promenade, on ne s’arrête presque jamais. Nous avons même couru à certains endroits et tout est très bien organisé.» Il y a en effet des toilettes un peu partout, des stands pour acheter à manger et à boire et même des samaritains. Les choses se corsent après cinq heures d’attente et avec l’apparition d’une ampoule à la cheville. «Après Lamber Bridge, nous étions si proches du but, notre moral est redescendu lorsque l’on est tombées sur une file d’attente en serpentin juste devant l’abbaye. L’enfer. Ces deux dernières heures étaient horribles», décrit Lisa. Les gens sont fatigués, mais ils se préparent physiquement et mentalement pour ce moment d’exception qu’ils s’apprêtent à vivre. Des femmes troquent leurs tongs contre des talons, des hommes ajustent une dernière fois leur costume. «Il y avait une personne incroyablement élégante avec un chapeau haut de forme et une veste en queue-de-pie qui attirait tous les regards.»
Des larmes et un téléphone qui sonne
Pour accéder à l’intérieur de l’abbaye il faut passer devant l’un des vingt portiques de sécurité. «C’est exactement comme dans un aéroport, tout est checké. Il y a ensuite un dernier stand où il faut déposer, les briquets, les boissons et la nourriture. Les aliments non entamés sont redistribués à des sans-abri.»
Une fois à l’intérieur, les Fribourgeoises oublient tout. «C’était hors du temps. Il y avait un silence impressionnant et toutes les émotions sont remontées», raconte Sandrine avant de s’exclamer: «Sauf pour cette conne qui a oublié d’éteindre son natel! J’étais franc folle!» «L’ambiance était lourde», précise Lisa qui n’a pas réussi à retenir ses larmes. «Une fois dedans, on m’a perdu. Les bougies, l’atmosphère, les gens en communion… J’étais en pleurs.» Les deux collègues ont eu «la chance» que le changement de gardes s’effectue pendant leur passage. Ce qui leur a permis de rester dans la salle dix bonnes minutes au lieu de deux, comme c’est le cas normalement.
Une fois dehors, les télévisions se jettent sur Lisa, encore chamboulée, pour avoir son ressenti. «J’ai refusé de dire quoi que ce soit. Il fallait que je me casse, j’étais incapable de parler.» Ce n’est que bien plus tard, que les Suissesses réalisent ce qu’il vient de se passer. «On ne vivra jamais deux fois un moment pareil. Cela me rassure un peu car j’ai bien cru qu’on ne marcherait plus ce matin», confie avec un peu d’humour Sandrine avant de conclure: «On s’est déjà dit qu’on ne viendra pas le jour du décès de Charles, car il ne sera jamais comparable à sa maman. Elizabeth II a dédié sa vie à son peuple et on voulait faire partie de ce dernier moment d’Histoire.» Sandrine et Lisa reprendront l’avion dimanche et suivront les funérailles de lundi depuis chez elles.