BrésilVictoire des indigènes lors d’un procès crucial pour leurs terres
La thèse du «cadre temporel», défendue par le puissant lobby de l’agro-négoce, a été rejetée jeudi par la Cour suprême au terme d’un procès historique pour les peuples autochtones.
Les peuples autochtones du Brésil, à commencer par ceux d’Amazonie, ont remporté une importante victoire jeudi: à l’issue d’un procès démarré en 2021, la Cour suprême a conforté leur droit sur leurs terres, rejetant les positions défendues par le puissant secteur de l’agro-négoce.
L’enjeu était d’autant plus crucial que les réserves attribuées aux autochtones sont considérées par les scientifiques comme des remparts face à la déforestation et jouent donc un rôle clé dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Ce jugement est une «réponse très importante aux menaces et à la criminalisation que nous avons vécues ces quatre dernières années», a dit à l’AFP Kleber Karipuna, directeur exécutif de l’Association des peuples indigènes du Brésil (Apib), en référence au mandat de l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro (2019-2022). Mais c’est aussi un appel au gouvernement du président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, revenu au pouvoir en janvier, pour qu’il «avance sur la démarcation de terres indigènes», a-t-il ajouté.
La majorité a été atteinte jeudi quand un sixième magistrat, sur les onze qui siègent à la plus haute juridiction du pays, a voté contre la thèse du «cadre temporel», lors de ce procès au long cours entamé en août 2021 et suspendu à plusieurs reprises. Trois autres juges ont ensuite voté contre. Bilan: neuf votes contre, deux pour.
Cris de joie
Rassemblés sous une grande tente devant la Cour suprême, des centaines de manifestants indigènes, certains le corps peint et la tête coiffée de plumes, ont suivi les débats sur un écran géant. Quand le cap de la majorité a été passé, certains ont éclaté en cris de joie et en pas de danse, quand d’autres serraient leur voisin dans leurs bras.
La thèse du «cadre temporel», défendue par le puissant lobby de l’agro-négoce au nom de la «sécurité juridique» des exploitants, propose de ne reconnaître comme terres revenant de droit aux autochtones que celles qu’ils occupaient ou revendiquaient officiellement au moment de la promulgation de la Constitution en 1988. Or les autochtones expliquent que certains territoires n’étaient plus occupés par eux à cette époque car ils en avaient été expulsés, notamment sous la dernière dictature militaire (1964-1985).
Selon l’ONG Institut socio-environnemental (ISA), près d’un tiers des plus de 700 réserves indigènes déjà délimitées au Brésil (la majorité en Amazonie) auraient pu être affectées.
«Dette impossible à payer»
Tandis que la juge Carmen Lucia a souligné la «dette impossible à payer de la société brésilienne envers les peuples autochtones», Joenia Wapichana, présidente de la Funai, organisme public de protection des autochtones, s’est félicitée du fait que «la justice soit du côté des peuples indigènes». «Maintenant que le cadre temporel est définitivement enterré, nous allons pouvoir avancer dans la protection de nos terres et de nos droits», a-t-elle dit à l’AFP.
Les deux seuls magistrats favorables à la thèse défendue par l’agro-négoce ont été nommés par Jair Bolsonaro. Ce dernier, dont le mandat a été marqué par une flambée de la déforestation, avait promis de ne «pas céder un centimètre de plus» aux peuples autochtones.
Les homologations de nouvelles réserves sont en effet restées à l’arrêt durant plus de cinq ans, jusqu’au retour au pouvoir de Lula, qui en a légalisé six nouvelles en avril, puis deux autres début septembre. Sur les plus de 700 réserves déjà délimitées au Brésil, près d’un tiers d’entre elles n’ont pas encore été officiellement homologuées.
Le procès à la Cour suprême, qui fera jurisprudence, porte plus précisément sur le cas du territoire Ibirama-Laklano, dans l’État de Santa Catarina (sud), qui a perdu son statut de réserve indigène du peuple Xokleng en 2009, à la suite d’un jugement d’une instance inférieure. Les juges avaient alors justifié leur décision en expliquant que ces terres n’étaient pas occupées par les autochtones en 1988.
«Je suis très émue parce que mon grand-père a beaucoup lutté pour cela et qu’il n’est plus là pour le voir», a dit Txului Namblá, une jeune Xokleng de 18 ans.
Indemnisations
Les magistrats de la Cour suprême doivent encore trouver un consensus sur les questions pendantes, notamment sur de possibles indemnisations par l’État de propriétaires de terres qui seraient transformées en réserves à l’avenir.
Cette solution alternative au «cadre temporel» est proposée par le puissant juge Alexandre de Moraes, mais elle est rejetée par les indigènes. Ils craignent notamment qu’une jurisprudence au sujet des indemnisations ne freine l’homologation de nouvelles réserves, car elles représenteraient un coût élevé pour l’État.
Le Brésil compte près de 1,7 million d’indigènes, vivant dans des réserves ou en dehors, soit 0,83% de la population, selon les chiffres du dernier recensement.
Un incendie criminel réduit en cendres un projet de reforestation
C’était censé être une bonne nouvelle pour l’Amazonie brésilienne. Mais un projet de plantation de centaines de milliers d’arbres, dans une réserve naturelle illégalement déboisée, est parti en fumée dans un incendie d’origine criminelle.
Lancé en 2019 par le groupe de recherche environnementale Rioterra, le projet visait à reboiser 270 hectares de forêt dans l’Etat de Rondonia (nord) transformés en pâturages pour le bétail en toute illégalité. L’idée de planter 360’000 arbres était ambitieuse, explique Alexis Bastos, coordinateur du projet. En plus de préserver un bout de la plus grande forêt tropicale du monde et lutter contre le changement climatique, il entendait créer des emplois verts pour les populations locales.
Alors que la terre brune commençait à redevenir une forêt vert émeraude, un incendie début septembre à tout réduit en cendres. Les images satellite montrent que les flammes se sont déplacées dans la direction opposée au vent, et les enquêteurs ont rapidement conclu à son origine criminelle. «Le motif probable était d’entraver le processus de restauration écologique de la zone», indique le rapport de l’agence environnementale fédérale ICMBio, obtenu par l’AFP. De multiples suspects ont été identifiés par la police.