SionBataille rangée autour de trois enfants placés en Valais
Dans un climat délétère, une fillette de 10 ans et des jumeaux de 20 mois ont été enlevés à leur famille à Sion. Les parents crient au déni de justice. Du côté de l’administration, on dit que tout a été fait dans les règles.
- par
- Eric Felley
Le vendredi 13 août dernier, la police fribourgeoise a interpellé un couple valaisan à la sortie d’un hôtel de la ville de Fribourg. Elle était mandatée par les services sociaux valaisans pour arrêter ces deux personnes et prendre en charge leurs trois enfants. Ceux-ci, une fille de dix ans et des jumeaux de 19 mois, étaient restés à l’hôtel sous la surveillance du personnel de l’établissement, tandis que les parents allaient faire des démarches administratives. Depuis, ils n’ont plus revu leurs enfants, si ce n’est une visite organisée avec la plus grande, qui est dans un foyer à Sion.
«Nous ne savons même pas où ils sont»
Un mois et demi plus tard, enfants et parents sont toujours séparés et ces derniers sont évidemment au désespoir: «Nous n’avons aucun contact avec nos jumeaux, précise la mère, et nous ne savons même pas où ils sont». Vendredi, les parents ont fait une petite manifestation à Sion avec des pancartes: «Jamais sans nos trois enfants séquestrés par la mafia valaisanne!» ou dénonçant «les kidnappeurs étatiques», un ton qui témoigne du climat délétère qui entoure cette affaire.
Il n’y a nulle trace de maltraitance envers les enfants dans ce dossier, mais un embrouillamini administratif, dont ils paient le prix fort. Pourtant le père est fonctionnaire à l’État du Valais et elle professeure de langues et femme au foyer. Ils vivent dans une jolie villa en dessus de Sion. La famille est composée de l’aînée née d’un premier lit de l’épouse et des jumeaux. Ces deux derniers sont nés au début 2020 après une gestation pour autrui (GPA) en Allemagne. Les parents les ont ramenés en Suisse. Comme la maternité de substitution y est interdite, le couple a été amendé par un tribunal valaisan.
Des demandes multiples…
Cependant les enfants sont bien là et le couple décide de faire les démarches d’adoption pour qu’ils obtiennent un statut légal. Il s’adresse alors au Service de la population et des migrations valaisan. Le service exige toute une série de documents, des extraits de casier judiciaire, de copies de décisions administratives ou judiciaires concernant des personnes de la famille, et la copie des passeports allemands des jumeaux. Le couple conteste la légalité de la plupart de ces demandes, notamment pour les passeports qui n’existent pas. Le ton monte et s’envenime du côté des parents, qui interpellent le conseiller d’État Frédéric Favre responsable de ce service. Dix-huit mois plus tard, le dossier demeure bloqué.
À Fribourg, le dossier est bouclé en quatre jours
«En Valais, on n’aime pas les enfants nés avec une GPA», constate un proche de la famille. Le couple décide donc de laisser tomber la procédure valaisanne et de faire enregistrer les enfants dans le canton de Fribourg, d’où est originaire la mère. Il fait les démarches pour clore le dossier en Valais, ce qui est fait le 6 août. Dans le canton de Fribourg, la procédure se passe différemment à la satisfaction des parents. Le 8 août le dossier est déposé et le 12 août, soit quatre jours plus tard, l’Office de la population de Fribourg leur fait savoir qu’il est complet.
Les jumeaux déplacés
En Valais cependant, les services sociaux continuent de suivre le cas. Les parents disent avoir été avertis oralement le 10 août qu’ils n’avaient pas le droit de quitter le canton pour Fribourg, une interdiction «sans aucun fondement juridique», selon eux. L’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA) de Sion et l’Office de protection de l’enfant ont saisi la police fribourgeoise pour faire arrêter le couple le 13 août. Depuis, la fillette de dix ans est dans un foyer pour enfant en difficultés, où la mère a pu la rencontrer une fois: «Notre fille n’a rien à faire là et veut rentrer à la maison, mais on le lui interdit». Placés dans un premier temps avec leur sœur, les jumeaux ont été déplacés dans un lieu ignoré des parents.
Un for juridique contesté
«Depuis le 6 août, les autorités valaisannes n’avaient plus à s’occuper de ce dossier, car le for juridique était à Fribourg», dénoncent les parents. Mais il semblerait que cette information ne soit pas parvenue aux bonnes personnes. «C’est un déni de justice», disent-ils et réclament qu’on leur rende immédiatement leurs enfants: «Nos jumeaux ont eu 20 mois hier, ils ont toujours été avec nous et avec leur grande sœur depuis leur naissance, nous sommes vraiment inquiets pour eux».
«Un dossier traité dans les règles»
Du côté de l’État du Valais, le chef du Service de la population et de la migration, Jacques De Lavallaz, ne peut entrer dans les détails de cette affaire, car il est lié par le secret de fonction. Il estime que «le dossier a été traité dans les règles, avec toute la rigueur nécessaire par le SPM. Il est aujourd’hui entre les mains de la justice et non plus dans les mains de l’Administration cantonale».
Mais il tient à donner des précisions formelles: «L’autorité fribourgeoise contactée était celle du domaine des étrangers et non l’autorité compétente en matière d’adoption». Concernant le for juridique, il conteste l’interprétation faite par les parents: «Des mesures ont été ordonnées par les autorités de protection de l’enfant (APEA). L’Office cantonal de la protection de l’enfant a été mandaté pour l’exécution de ces mesures car le for juridique du dossier se trouve en Valais et non pas à Fribourg. Il convient également de préciser que les jumeaux vivaient dans cette famille, mais ne sont pas les enfants biologiques des personnes concernées».
Pourtant, ils ont bien grandi depuis leur naissance avec ces personnes, qui sont de fait leurs parents. La mère précise également «qu’aucune analyse d’ADN n’a été effectuée». Certes, la situation s’est dégradée dans ce dossier à cause d’un climat de défiance mutuelle. Il n’en reste pas moins que retirer les enfants de leur cadre familial, où aucune maltraitance n’est en cause, paraît une mesure de rétorsion peu apte à préserver les droits de l’enfant et restaurer la confiance.