CaraïbesSous la chaleur de l’été, les Cubains accablés par les coupures de courant
Depuis le mois de mai, les habitants de Cuba connaissent de nombreuses coupures d’électricité. Devant la grogne des habitants, le gouvernement dénonce des manœuvres «contre révolutionnaires».
Les coupures d’électricité à Cuba, devenues quotidiennes depuis mai, exaspèrent les habitants qui sortent parfois dans la rue pour protester. Le gouvernement dénonce des manœuvres de la «contre-révolution», tandis que l’opposition voit dans ces délestages «son meilleur allié».
«Les gens ne supportent plus la chaleur, ils sortent la nuit dans la rue, sur les balcons, en attendant que l’électricité revienne» pour allumer leur ventilateur, raconte à l’AFP Estrella Ramirez, 62 ans, qui habite à Bauta, à 29 km de La Havane. Les coupures de courant récurrentes avaient été le déclencheur des manifestations historiques qui ont secoué le pays les 11 et 12 juillet 2021 avec des dizaines de milliers de Cubains descendus dans la rue aux cris de «Nous avons faim», «A bas la dictature».
Un an après, sous la chaleur torride de l’été caribéen, d’autres protestations, à moindre échelle, ont été recensées dans plusieurs localités à l’intérieur du pays. Le 14 juillet, à Los Palacios, une ville de 38’000 habitants de l’ouest de l’île, plusieurs dizaines d’habitants sont sortis dans la rue pour protester contre un black-out, certains en tapant sur des casseroles. «Mettez le courant, bon sang!» «Nous ne voulons pas de blabla», ont crié des habitants, selon des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.
«L’obsolescence du modèle» économique cubain
Selon des médias indépendants, des manifestations similaires ont eu lieu le 21 juillet à Jagüey Grande, dans la province de Matanzas (ouest), ainsi que dans les villages de Caibarién et Sagua la Grande, dans la province de Santa Clara (centre).
Le président Miguel Diaz-Canel a accusé les manifestants d’agir pour le compte de la «contre-révolution» et «selon la volonté de ceux qui nous soumettent à l’embargo», dans une allusion à l’embargo américain en vigueur depuis 1962. Mais pour le dissident modéré, Manuel Cuesta Morua, ces coupures sont désormais le «meilleur allié» de l’opposition au pouvoir communiste. «Cela remet d’actualité les critiques de l’opposition sur l’obsolescence du modèle» économique cubain, dit-il à l’AFP.
«Ce sont les conséquences structurelles de l’incompétence du gouvernement et cela donne l’occasion d’exprimer (…) le malaise social accumulé», dit-il. Ce type de protestations est très inhabituel sur l’île, où près de 700 participants aux manifestations du 11 juillet sont toujours emprisonnés, dont certains ont déjà été condamnés à de lourdes peines.
«Niveau de lassitude»
Les coupures d’électricité ne sont pas nouvelles à Cuba. Dans les années 1990, pendant la «Période spéciale» qui avait suivi l’effondrement de l’Union soviétique, alliée de Cuba, les black-out pouvaient durer jusqu’à 16 heures. Mais «il n’y avait pas ce rejet politique accumulé, il n’y avait pas ce niveau de lassitude qui existe aujourd’hui», explique le sociologue cubain Rafael Hernandez, dans un article publié par le Centre pour l’Amérique latine et les études latinos, de l’American University de Washington.
«Il n’y a pas actuellement des coupures jusqu’à 16 heures comme en 1993-1994, mais leur impact est bien supérieur, comme on l’a vu le 11 juillet», ajoute le chercheur. Jusqu’à présent moins touchée, La Havane va dorénavant subir trois fois par semaine des coupures de courant de quatre heures (entre 10 h 00 et 14 h 00), a annoncé vendredi le gouverneur de la capitale, Reinaldo García Zapata, cité par le journal officiel Tribuna de La Habana. Selon des chiffres officiels, 68% des foyers cubains cuisinent à l’électricité. Or les délestages ont lieu lors des pics de consommation quand les gens préparent à manger.
À Jesus Menéndez, un village de l’est du pays, les coupures durent entre huit et dix heures chaque jour. «Beaucoup de gens cuisinent à l’électricité. Comment font-ils? Ils utilisent du charbon ou du kérosène quand ils en trouvent», raconte par téléphone à l’AFP Gisela Gonzalez, femme au foyer de 54 ans. Le président Diaz-Canel a demandé à ses compatriotes de la «compréhension» et des «économies» d’énergie face à une situation qui n’a pas de solution «immédiate».
Selon la compagnie publique, l’Union nationale électrique (UNE), 95% de la production d’énergie à Cuba se fait à partir d’énergies fossiles, en majorité importées. La hausse des cours mondiaux a renchéri le coût de ces importations de 30%.
Parallèlement, sur les 20 centrales électriques du pays, 19 ont plus de 35 ans, a reconnu le gouvernement qui, face aux travaux de maintenance et aux pannes à répétition, a peu de marge de manœuvre. «La situation d’urgence que traverse le système électrique va se poursuivre et la relance sera progressive», a admis récemment à la télévision d’État Edier Guzman, un responsable de l’UNE.