FootballHumeur: bientôt, le gardien n’aura plus le droit de toucher le ballon avec les mains
Dès le 1er juillet, les portiers ne pourront plus déstabiliser «abusivement» les tireurs de penalty. Une modification de la loi tout sauf anecdotique, visant surtout à dénaturer ce qui fait tout le sel de ce face-à-face hors du temps.
- par
- Nicolas Jacquier
À l’intérieur d’un match, la scène du penalty a toujours constitué un moment d’une grande intensité dramatique. C’est là un rendez-vous à part, suspendu au temps, entre deux solitudes, celle du tireur croisant celle du gardien qui lui fait face. Soudain, il n’y a plus que ces deux-là, seuls au monde et face à l’adversité.
Une intensité encore accentuée lors des séances de tirs au but, lorsqu’il faut passer par là pour désigner le vainqueur. Prix Nobel de littérature, Peter Handke en avait même tiré un livre, au titre symbolique: l’angoisse du gardien de but au moment du penalty… Un roman narrant la dérive existentielle et les errances d’un ancien gardien à la suite d’un échec professionnel.
Jusqu’à aujourd’hui, on avait l’habitude de voir le portier souvent tenter par tous les moyens de déstabiliser son adversaire. Une intimidation souvent très théâtrale, destinée à lui faire prendre un ascendant psychologique. Multiplier les facéties, agiter les bras afin de déconcentrer le tireur, toucher son poteau, parfois les deux ou la latte, on a tous en mémoire ces tentatives de déstabilisation qui peuvent faire sourire. Cela peut fonctionner parfois - il n’y a qu’à se souvenir des gesticulations d’Emiliano Martinez, le dernier rempart argentin, en finale de la Coupe du monde, devant Mbappé et les autres tireurs français, pour s’en convaincre -, mais cela n’est pas non plus une garantie en soi.
Liberté toujours plus surveillée
Quoi qu’il en soit, cela faisait partie du show, de l’inattendu, du bluff. Et c’est ce que l’on aimait. Mais tout cela est (bientôt) terminé. Parce que la très sérieuse IFAB, l’instance régissant les lois du jeu, a décidé de venir mettre de l’ordre dans cette séquence en liberté toujours plus surveillée. Dans ce type d’exercice, les gardiens, condamnés à demeurer au moins un pied sur la ligne au moment du tir, n’avaient déjà plus le droit, on le sait, de s’élancer avant afin de fermer l’angle de frappe face au tireur. Voici qu’on va leur interdire, à compter du 1er juillet prochain, de chercher à perturber exagérément le tireur. Terminé les petites danses rituelles, révolue les feintes de corps ou les simagrées pour entrer dans la tête du tireur. Et plus de chambrages non plus, vous pensez bien… Aurait-on voulu créer une jurisprudence Martinez que l’on ne s’y serait pas pris autrement.
La loi 14 a ainsi été modifiée en conséquence. Il est désormais stipulé que «le portier ne peut agir de manière à distraire abusivement le tireur, par exemple en retardant l’exécution du penalty ou en touchant les poteaux, la barre transversale ou les filets».
Wouaaaaaah… Pour offrir toutes ses chances au tireur, pourquoi, pendant que l’on y est, ne pas lui interdire d’utiliser les mains? Ou l’attacher à l’un de ses poteaux? Pour ces Messieurs de l’IFAB, il importe manifestement de rétablir une certaine égalité des chances en exigeant du portier qu’il se tienne à carreau. Tireur 1, gardien 0. Voilà qui va nous priver de ce qui faisait tout le sel de ces duels épiques et qui le seront du même coup beaucoup moins.
Car on ne nous enlèvera pas de l’esprit qu’il s’agit avant tout d’aseptiser la perception du football en lui-même. En gommant tout ce qui constituait jusque-là un spectacle en soi. Et en cas d’arrêt malgré tout, que faire? Portier du Milan AC et successeur d’Hugo Loris en équipe de France, Mike Maignan suggère sur Twitter d’accorder un coup franc indirect afin que le malheureux tireur puisse bénéficier d’une seconde chance.
«La prochaine étape, c’est quoi? On va nous dire de nous mettre dos au tireur?» ironise pour sa part sur Eurosport le Franco-Camerounais Charles Itandge, passé par Lens et Liverpool notamment.
Décompter les moments de joie
La volonté est déjà là, qui consiste à mettre le football sous cloche pour en faire un produit dénaturé, froid et impersonnel. Ainsi le temps de joie et de célébrations après chaque but fêté sera-t-il régulé dès la saison prochaine. Charge donc à l’arbitre de décompter les secondes - minutes? - perdues pour les rajouter ensuite au cumul du temps additionnel. 90 + 5 + 3 + 4…
On ne sait pas pour vous, mais en ce qui nous concerne, on a quand même le sentiment qu’à un moment donné, on ferait mieux d’en rester là. Avec ce qui marche déjà très bien ainsi. Parce qu’en commençant à chipoter de la sorte…