Guerre en UkraineSoigner les blessés russes, un serment d’Hippocrate parfois lourd à honorer
Depuis février, les chirurgiens ukrainiens voient se succéder sur leur table d’opération des compatriotes, mais aussi des militaires envoyés par Moscou qu’ils se doivent de soigner. Un dilemme.

Zaporijjia, grande ville du sud située à quelques dizaines de kilomètres à peine du front, se retrouve au premier rang pour accueillir des réfugiés internes et des blessés de guerre. Certains chirurgiens opèrent jusqu’à vingt patients à la suite.
AFPDepuis plus de deux mois, le docteur Ali-Shakh n’a plus de vie personnelle. Il reconstruit, comble, répare… continuellement les blessures faites aux civils et militaires ukrainiens par les troupes russes. Il soigne aussi, à contrecœur, des soldats de Moscou. Le jeune médecin raconte «pratiquement vivre» à l’hôpital militaire de Zaporijjia, grande ville du sud située à quelques dizaines de kilomètres à peine du front. Farad Gokharovitch Ali-Shakh affirme travailler «vingt heures» par jour et opérer parfois jusqu’à vingt patients consécutivement.
Depuis que la Russie a axé son effort sur la région du Donbass et le sud du pays, cette cité industrielle se retrouve au premier rang pour accueillir des réfugiés internes et des blessés de guerre. D’épaisses bâches ont été placées devant les fenêtres de l’hôpital pour éviter qu’il ne soit trop visible vu du ciel et ne devienne, la nuit, une cible de l’armée russe. Les bâches sont aussi là pour éviter, en cas de bombardement, que des éclats de vitres ne blessent les patients, alors que de premières maisons de Zaporijjia ont été touchées il y a une semaine par une roquette russe.
«Peut-être devrions-nous juste les laisser sur place»
L’hôpital est donc largement plongé dans la pénombre, même en plein jour. Les photos que le docteur montre sur son téléphone n’en paraissent que plus sanguinolentes. Sur l’une d’entre elles, on voit une jambe arrachée, qui ne tient que par un bout de peau.«Nous avons pu restaurer les vaisseaux puis fixer les extrémités», dit-il. «Nous soignons même les soldats russes, ajoute-t-il. Mais nous ne devrions peut-être pas. Peut-être devrions-nous juste les laisser sur place, pour qu’ils servent d’engrais à nos terres». Et Farad Gokharovich Ali-Shakh de reconnaître un «manque de motivation» à l’heure de panser les plaies de l’ennemi.
Partout dans l’hôpital, des cartons de vêtements, de produits médicaux, indiquent l’urgence de la situation, mais aussi les ressources limitées, que les chirurgiens doivent en partie sacrifier pour guérir des «animaux», s’indigne le commandant Viktor Pyssanko, le directeur de l’hôpital militaire de Zaporijjia. Les soldats russes «sont des jeunes sans cerveaux» imbibés de «propagande», poursuit-il. L’hôpital militaire de Zaporijjia «essaie» pourtant d’en «sauver le maximum», reconnaît le commandant Pyssanko dans l’unique but de «les échanger avec nos propres soldats».
Entre soignants, l’humour noir est la règle
Dans un hôpital civil de Zaporijjia, trois soldats russes ont ainsi été remis sur pied trois semaines durant, puis remis aux forces de sécurité ukrainiennes fin avril, se souvient le Dr Vassily. «Ces types avaient l’air déprimés, dévastés, pas agressifs, narre le médecin, qui refuse de communiquer son nom de famille. À cause de cela, nous n’avons jamais ressenti le besoin de nous montrer méprisants» à leur égard. Entre soignants, où «l’humour noir» est la règle, «nous avons plaisanté sur le fait que nous pourrions leur faire du mal. Mais ça s’est arrêté là quand il s’agit de travailler et d’honorer notre serment d’Hippocrate», poursuit-il. Et le Dr Vassily d’affirmer «n’avoir jamais ressenti le désir d’étrangler» les soldats russes. «Si je devais avoir ce genre de pensées, je ne serais pas docteur.»