FrancePour la moutarde de Dijon, les cultivateurs poussent leur production
Face à la pénurie qui a touché les rayons des supermarchés, les producteurs français de moutarde vont doubler leurs surfaces de culture. Avec le soutien financier des moutardiers.
«Les rayons vont se regarnir en octobre»: pour remédier à l’actuelle pénurie de moutarde, les cultivateurs français vont plus que doubler leur production, jusqu’alors largement supplantée par la concurrence canadienne. Dans les supermarchés et épiceries de France, les pots du condiment emblématique de la capitale de la Bourgogne, la célèbre moutarde de Dijon, se font rares, voire sont absents. «Un pot par foyer», restreignent nombre d’affichettes sur les rayons désertés.
La pénurie, largement antérieure à la guerre en Ukraine, est due à la vague de chaleur qui a amputé de moitié environ la récolte 2021 de graines de moutarde au Canada. Premier producteur mondial, ce pays fournit 80% environ de la graine, les 20% restants étant presque entièrement produits en Bourgogne. «Il est donc très important de faire grossir ce pourcentage pour affronter les aléas climatiques qui sont différents d’un pays à l’autre», explique Luc Vandermaesen, président de l’Association moutarde de Bourgogne, qui regroupe les moutardiers ainsi que les cultivateurs de graines de moutarde.
La culture locale des graines faisait la réputation de la région de Dijon depuis le Moyen Âge. Mais une multiplication des attaques d’insectes, que la filière ne peut plus combattre avec des produits chimiques désormais interdits, a divisé la production par trois entre 2017 et 2021, de 12’000 tonnes à 4000, alors que les moutardiers en voulaient 16’000.
«Les problèmes canadiens ont relancé toute l’importance de la filière en Bourgogne», explique Fabrice Genin, président de l’Association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne (APGMB). «Oui, il y a un souci de relocalisation. On ne peut pas mettre tous nos œufs dans le même panier», estime Luc Vandermaesen, également directeur général de Reine de Dijon, troisième producteur français de moutarde.
Prix plus que doublé pour les récoltes
Un appel a donc été lancé, en juin, auprès des producteurs locaux, avec pour but de multiplier par 2,5 les surfaces plantées en graines, soit 10’000 hectares, contre 4000 en 2022. Pour les motiver, les moutardiers ont mis la main au pot: «On a fait plus que doubler le prix» offert pour la graine de Bourgogne entre les récoltes 2021 et 2023, souligne Luc Vandermaesen.
De 900 euros en 2021, les cours étaient passés à 1300 euros en 2022, provoquant déjà une hausse de moitié de la production. Pour 2023, les moutardiers offrent 2000 euros la tonne. «L’appel a été entendu: nous avons un peu plus des 10’000 hectares voulus, et le nombre de producteurs est passé de 160 à plus de 500. C’est plus qu’espéré», explique Jérôme Gervais, expert moutarde à la Chambre d’agriculture de Côte d’Or.
Le prix alléchant a fait revenir à la moutarde des agriculteurs auparavant découragés: il «nous permet de rentrer dans nos clous», même avec la flambée des engrais due à la guerre en Ukraine, explique François Détain, cultivateur à Agencourt. Il avait abandonné cette culture en 2019, en raison d’un «rendement catastrophique, avec un printemps très sec et les insectes». Mais aujourd’hui, «la graine se place bien» par rapport aux céréales, colza ou tournesol. «D’autant plus qu’il y a eu une dégringolade des cours des céréales et des oléagineux.» «Pour nous, c’est une sorte de revanche de pouvoir replanter une culture locale», se félicite-t-il.