ImmigrationL’Allemagne, nouvel eldorado des jeunes Tunisiens
Malgré la barrière de la langue, les travailleurs originaires de Tunisie sont nombreux à vouloir émigrer légalement vers la première économie européenne, en manque criant de main-d’œuvre.
France, Canada, Golfe, et dorénavant Allemagne. De janvier à octobre 2022, 5474 autorisations de travail ont été accordées par l’Allemagne à des jeunes Tunisiens, contre 4462 en 2021 et 2558 en 2020. Cet exode est stimulé par une absence de quotas et une reconnaissance accrue ces dernières années des diplômes étrangers, y compris pour les qualifications d’avant baccalauréat.
L’Allemagne, pays à très faible natalité, a «d’énormes besoins de main-d’œuvre, pas seulement dans la santé ou l’informatique, mais aussi dans l’hôtellerie-restauration, le bâtiment, la pose de fibre optique ou la conduite de poids lourds», explique Narjess Rahmani, directrice de l’agence d’aide à l’émigration «Get In Germany». Dans les secteurs sous tension, certains employeurs procurent au candidat un contrat d’embauche ou d’apprentissage pour faciliter l’obtention du visa, et financent même sa formation linguistique de base.
Yeft Benazzouz, directeur de l’école de langue Yeft, a vu la demande de cours d’allemand exploser depuis 2020. «Avant, j’avais des groupes d’une ou deux personnes et c’est monté à six ou sept», dit-il. Même si depuis l’été, le rythme s’est ralenti à cause d’une forte inflation et chute du pouvoir d’achat en Tunisie.
«Des bosseurs»
Outre la langue, Yeft Benazzouz enseigne les comportements de base à adopter, utilisant volontiers des proverbes pour marquer les esprits comme «Pünktlich ist schon spät» («à l’heure c’est déjà tard»). «Pour aller en Allemagne, il faut comprendre la mentalité: ce sont des bosseurs, et ils misent beaucoup sur la motivation des jeunes, le sérieux du travail», souligne Narjess Rahmani.
L’ingénieure hydraulique Nermine Madssia, 25 ans, a opté pour l’Allemagne comme sa sœur future infirmière, délaissant des offres en France «où il y a du racisme» antimusulman, selon cette jeune fille qui porte le voile. Elle pense y trouver «du respect et de la considération avec un bon salaire». En Tunisie, la rémunération moyenne plafonne à 1000 dinars (environ 300 francs) et même un ingénieur informaticien touche à peine deux fois ce montant en début de carrière.
«Un bout de Tunisie»
Elyes Jelassi, 28 ans, boucle sa valise en prenant soin d’y insérer de l’huile d’olive et des épices, «un bout de Tunisie», avant de s’envoler pour l’Allemagne. Sous les yeux de sa famille rassemblée dans leur ville de Korba, cet infirmier assure qu’initialement, «il ne pensait pas quitter le pays». «Après trois ans d’études et stages dans plusieurs hôpitaux, j’ai décidé de ne pas faire carrière en Tunisie. À l’étranger ce sera mieux», dit-il
Recruté à distance, Elyes a décroché un contrat de travail en Allemagne dans une clinique de Wiesbaden, qui le logera même gratuitement les six premiers mois. Outre l’argument salarial, il est convaincu d’y trouver des conditions plus propices qu’en Tunisie où «les hôpitaux souffrent d’un manque de matériel, ce qui provoque des conflits avec les citoyens, et rend le travail stressant». Mais il n’imagine «pas rester à vie» dans ce pays, et aimerait «revenir en Tunisie, à l’âge de 50 ans».