MédecineMieux cibler le traitement du cancer de l’ovaire pour plus d’efficacité
Des scientifiques ont découvert pourquoi près de la moitié des femmes souffrant de cette maladie rechutait dans les 5 ans malgré un premier traitement efficace.
- par
- Michel Pralong/Comm
Les mutations des gènes BRCA1 et BRCA2, héréditaires chez 1 personne sur 400 et 1 personne sur 800 respectivement, augmentent significativement le risque de certains cancers: ovaire, sein, pancréas ou encore prostate. En 2016, une nouvelle classe de médicaments, les inhibiteurs de PARP, s’est avérée extrêmement efficace contre les tumeurs liées à ces mutations. Cependant, près de la moitié des femmes souffrant d’un cancer de l’ovaire voient la maladie récidiver dans les 5 ans. Une équipe internationale comprenant des Genevois a compris pourquoi.
Les gènes BRCA1 et BRCA2 participent à la réparation de lésions particulièrement sévères de l’ADN. Lorsqu’ils sont mutés, l’ADN endommagé se répare moins facilement et cela favorise l’apparition de cancers «qui sont particulièrement agressifs», note la Dre Intidhar Labidi-Galy, chercheuse à la Faculté de médecine de l’Université de Genève et médecin adjointe au service d’oncologie des HUG, et auteure de correspondance de cette étude parue dans la revue «Annals of Oncology».
Des inhibiteurs de protéines très efficaces
«Le cancer de l’ovaire, avec souvent de très mauvais pronostics, est l’un des cancers les plus fréquents chez les femmes porteuses de mutation de l’un de ces deux gènes.» La récente mise sur le marché d’inhibiteurs des protéines PARP (notamment l’olaparib) constitue une avancée thérapeutique majeure. Pour la première fois, un traitement entraînant un gain de survie global important était proposé. «Mais si de précédentes études montraient la très grande efficacité des inhibiteurs de PARP dans les cancers BRCA1 et BRCA2, près de la moitié des patientes voyaient leur cancer récidiver. Pourquoi? C’est ce que nous avons voulu décrypter ici», ajoute-t-elle.
L’équipe de recherche, menée par l’UNIGE, les HUG, le Centre Léon Bérard, centre de lutte contre le cancer de Lyon, l’Institut Curie, le groupe collaboratif français ARCAGY-GINECO et le consortium européen ENGOT, a effectué une analyse détaillée des mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 chez 233 patientes faisant partie d’une étude clinique préalable à la mise sur le marché de l’olaparib, testé en association avec un autre médicament déjà utilisé dans le traitement des cancers de l’ovaire, l’anti-angiogénique bevacizumab.
L’efficacité du médicament dépend de l’anomalie
Souffrant d’un cancer de l’ovaire de stade avancé, ces patientes étaient toutes porteuses d’une mutation du gène BRCA1 (159 patientes) ou du gène BRCA2 (74 patientes). «Nous avons décidé d’augmenter la précision de nos analyses en détaillant les mutations en cause, et surtout ce qui différenciait celles sensibles au médicament, et celles qui l’étaient moins», explique Isabelle Ray-Coquard, professeure en oncologie au Centre Léon Bérard, qui a supervisé ces travaux. Et la différence provient de la localisation de la mutation sur le gène: si elle est localisée dans un domaine de liaison à l’ADN, le médicament est beaucoup plus efficace.
Les domaines de liaison à l’ADN sont impliqués dans la régulation de l’expression des gènes. «Les inhibiteurs de PARP visent à créer une accumulation de cassures d’ADN dans les cellules mutées, pour entraîner leur mort rapide avant qu’elles ne puissent créer des tumeurs malignes», détaille le Dr Manuel Rodrigues, médecin praticien hospitalier à l’institut Curie et co-premier auteur de l’article. «Il semblerait ainsi que les mutations dans le domaine de liaison à l’ADN accélèrent ce processus et augmentent significativement l’efficacité du médicament; cela est plus hétérogène lorsque la mutation concerne d’autres parties fonctionnelles du gène».
Faire de l’oncologie de précision
Ces résultats mettent en lumière la nécessité d’une médecine de très haute précision dans le domaine de l’oncologie. «Il est indéniable que cette classe de médicament est extrêmement efficace chez une bonne partie des patientes (certaines semblent totalement guéries, alors qu’il y a quelques années elles auraient été condamnées) et 90% des personnes présentant une mutation sur un domaine de liaison à l’ADN du gène BRCA1 n’ont pas rechuté au moment de l’analyse. Mais il est important de comprendre le mécanisme d’action précis des médicaments et d’affiner les traitements en fonction du profil génétique des patientes et des tumeurs. Ici, la localisation de la mutation s’avère être le point clé», résume Isabelle Ray-Coquard. Qui précise que, «à l’heure où nous avons deux options de traitement (olaparib seul ou en combinaison avec le bevacizumab) c’est un point d’importance pour les cliniciens qui pourront mieux estimer le risque de récidive et donc d’optimiser le choix du traitement».
Cette étude académique internationale constitue une première de ce type et s’inscrit dans une approche de l’oncologie de précision, où le décryptage du génome des malades et des tumeurs est essentiel. Ce dernier permet de mieux cibler les cellules malades en développant des inhibiteurs spécifiques, qui contribueront aussi à limiter les effets secondaires.