InterviewPatrick Bruel: «Si j’avais pu faire Star Academy, j’aurais sauté sur l’occasion»
Le chanteur de 63 ans sort son nouvel album, «Encore une fois», vendredi. Il y a notamment collaboré avec le vainqueur 2008 du télé-crochet de TF1, le Franco-Suisse Mosimann.
- par
- Fabio Dell'Anna
Patrick Bruel aime les tendances, «mais ne cherche aucun effet de mode». C’est la devise qu’il a adoptée pour son 10e album studio, «Encore une fois», qui sort le 18 novembre. Le Français de 63 ans n’a pas hésité à s’aventurer sur plusieurs styles qui marchent dans les classements actuels, sans pour autant oublier son ADN. Tout y est: les vibes rétro de The Weeknd, l’electro de Mosimann – qui a produit le disque de diamant de Grand Corps Malade «Mesdames» – et le rap, dont il est amoureux depuis le début. Quant aux textes, ils relèvent autant de l’intime que du sociétal
Patrick Bruel se voit déjà partir en tournée en 2023 pour proposer un show encore plus spectaculaire que le dernier. Rencontre avec un artiste qui n’a pas peur de se mettre en danger.
L’espoir est l’un des sentiments qui revient le plus souvent dans cet album. En avez-vous besoin?
Pour passer un message d’espoir, il faut être sans concession. Il faut nommer les choses. Si on nomme les urgences, on peut voir qu’il y a une lueur d’espoir. On entend tellement cette phrase absurde: «C’était mieux avant.» Non, ce n’était pas mieux. La seule raison qui pousse à sortir cette phrase serait que depuis 1945, on a eu 70 ans sans guerre. Et j’espère qu’on pourra continuer à le dire. Mais, aujourd’hui, nous n’avons jamais été aussi impressionnants, aussi intéressants. On est en pleine transition, mutation, avec évidemment les effets pervers, les dérives, les instrumentalisations inhérentes à toute révolution. Nous sommes dans un moment important où l’on voit une jeunesse prendre en main son destin et dire: «Attention, c’est sérieux. Ensemble, il faut réagir.»
Vous dites que ce n’était pas mieux avant, mais vous n’hésitez pas à reprendre des sonorités des années 80, comme sur le titre «Pouce».
(Rires.) Pour la musique c’est différent. Les sons actuels nous ramènent beaucoup aux années 80. Le cahier des charges pour «Pouce» était de créer un univers inspiré par celui de The Weeknd et d’Imagine Dragon. (Il réfléchit.) En même temps, chaque chanson a le costume qui lui correspond. Par exemple, il me paraissait important d’aborder le sujet de l’écologie dans «On en parle». Nous avons pensé alors à y incorporer une boucle hip-hop, et j’avais une envie de parler ou de scander entre les refrains comme pour souligner encore plus le texte.
N’avez-vous jamais pensé à faire un album entier dans ce style slam ou rap qui vous va bien sur «On en parle»?
Je pourrais. J’adore cet exercice, je me sens bien dedans. C’est vrai que, lors de la tournée précédente, j’ai transformé une partie d’«Alors regarde» en rap. Dans «Dors», on retrouvait un peu de trap. Vous l’ignorez peut-être, mais le rap fait partie de ma vie, de mon histoire. J’ai produit le premier rap français quand j’avais 20 ans. Cela s’appelait «Chacun fait (c’qu’il lui plaît)» par Chagrin d’amour. On arrivait de New York. On n’écoutait que ce style là-bas. À peine atterri en France, on s’est dit: «Tiens, on va produire le premier rap en français.» Cela a été un énorme succès. On verra bien si je vais en rester là ou si je vais aller plus loin…
Vous avez travaillé avec le DJ franco-suisse Mosimann sur ce disque.
Il est très présent sur les deux chansons sur lesquelles il est crédité (ndlr.: «J’avance» et «Dernier verre, premier café»), mais il a aussi apporté son aide à l’ensemble de l’album par son regard, son amitié et sa bienveillance. C’est un garçon extraordinaire. C’est sûrement une personne qui gagne à être connue. Je suis très heureux de voir qu’il commence à exploser. Il a un talent fou. Il apporte une touche de modernité et d’émotion dans ce qu’il fait. C’est vraiment rare. Je suis très heureux de cette collaboration.
Comment est née cette collaboration?
Je connais Mosimann depuis toujours. J’ai chanté avec lui à «Star Academy» l’année où il a gagné, en 2008. Cela restait un bon souvenir. Puis on s’est très peu croisé. En 2021, je lui avais demandé de faire une tentative de mix sur une chanson. Il avait fait un truc chouette, mais qu’on n’avait pas retenu car ça ne correspondait pas au projet. En revanche, on s’était beaucoup parlé et quelque chose est né. C’est à ce moment-là qu’on a décidé de travailler ensemble. On ne s’est plus beaucoup quittés, d’ailleurs. On s’entend très bien.
En parlant de «Star Academy», avez-vous suivi le retour du show cette année?
Pas trop, malheureusement. J’étais tout le temps en répétition ou en déplacement. Mais j’y vais cette semaine. Il faut quand même que je regarde un peu avec qui je vais chanter. (Rires.)
Que pensez-vous du concept de l’émission?
C’est formidable quand une émission tend à mettre en valeur la musique ou un artiste et qui permet à quelqu’un d’éclore et de se développer. Si cela avait existé à mon époque, j’aurais sauté sur l’occasion pour me faire connaître. Le concept est vraiment chouette. J’aime beaucoup aussi celui de «The Voice», qui est uniquement tourné sur la musique. J’aime voir la marge de progression des artistes. Ils arrivent un peu fébriles, avec une envie folle et des yeux brillants. Ensuite, le travail commence et aussi les remises en question, l’abnégation, l’effort, la difficulté et la douleur, parfois. C’est une manière de se préparer à ce que va être la longue et difficile route de ce métier.
Vous avez plusieurs textes forts dans cet album. «Lettre à la con», qui parle du cancer d’un enfant, est au-dessus des autres, au niveau de l’émotion.
C’est le genre de chanson qui vous arrive et vous ne vous posez pas de questions. C’est Marc Weld qui me l’a proposée. Je l’ai enregistrée tout de suite et ensuite j’ai réfléchi: «Est-ce que je la chanterai ou pas? Est-ce que je dois la chanter?» Je ne sais pas… C’est un titre important. L’enfant qui parle à son cancer, avec ses mots et cette douceur, mais aussi avec cette force…
Qu’est-ce qui vous a convaincu de l’intégrer au disque?
Cela m’a rappelé évidemment tous les enfants que j’ai croisés durant mon parcours. Les artistes sont sans cesse sollicités. Je ne connais pas une personnalité qui a refusé de rencontrer des petits avant ou après un concert, d’aller à un hôpital ou chez eux. Cela crée un lien qui est parfois douloureux, car la plupart du temps on ne les revoit pas. De temps en temps, on a de bonnes surprises. Il y a trois semaines à Liège, un jeune homme de 19 ans a frappé à ma porte. Je ne l’avais pas vu depuis qu’il avait 5 ans. On m’avait dit à l’époque qu’il allait nous quitter très vite. Quand on est témoin de ce genre de situation rare, cela fait plaisir. Cette chanson a déjà été utile une fois. J’ai donné un concert de charité pour une association qui s’appelle «Vaincre le cancer». J’ai interprété ce titre de manière extrêmement consciente, sachant qu’il y avait dans la salle des donateurs avec beaucoup d’argent. Le morceau les a beaucoup sensibilisés et les enchères ont vite augmenté. Si, par la même occasion, cela peut donner aussi du baume au cœur à certaines familles de voir que l’on peut être un sujet qui est considéré, tant mieux.
Votre ancienne tournée a été la plus grosse production de votre carrière. Comment sera la suivante?
Quand j’écoute l’album je me dis que cela va être encore plus gros cette fois-ci. Je suis content d’avoir fait la parenthèse acoustique entre les deux pour pouvoir revenir avec quelque chose de grande envergure. Ces chansons sont faites pour ça. J’ai fait un petit showcase la semaine dernière devant 100 personnes, où j’ai chanté cinq nouvelles chansons. À la fin, j’avais l’impression d’être dans un stade. (Rires.) Il y a quelque chose de beau à envisager pour la scène. On ne va pas tarder à annoncer une tournée pour 2023 et 2024.