Bande dessinéeLe journal Tintin fait un retour historique à 77 ans
Disparu depuis 1988, l’hebdomadaire belge revient dans un numéro spécial de 400 pages célébrant tous ses héros mythiques. Lematin.ch était de la fête à Bruxelles.
- par
- Michel Pralong
En décembre 1944, Raymond Leblanc, André Sinave et George Lallemand fondent une maison d’édition à Bruxelles. Ils veulent lancer un hebdomadaire pour la jeunesse, mais le marché est déjà bien occupé, notamment par le journal «Spirou». L’idéal serait de convaincre la star de la BD, Hergé.
C’est fait en 1946 et le 26 septembre sort le premier numéro du journal «Tintin». Hergé en est le directeur artistique et il réunit autour de lui Edgar P. Jacobs (Blake et Mortimer), Paul Cuvelier (Corentin) et Jacques Laudy (Hassan et Kaddour). Dans cet hebdomadaire va naître une pléthore de héros, véritables légendes de la BD: Ric Hochet, Michel Vaillant, Oumpah-Pah, Chlorophylle, Comanche. Olivier Rameau, Alix, Bruno Brazil, Thorgal et tant d’autres.
Les Suisses Derib et Cosey
Le journal contribuera à la célébrité d’auteurs suisses également, puisque Derib y crée Buddy Longway avant d’y amener Yakari et Cosey bouleverse la BD avec son Jonathan. Le magazine connaîtra son âge d’or sous la rédaction en chef de Greg entre 1965 et 1974. Hergé fait évidemment paraître en épisodes dans le journal tous ses albums de Tintin. Mais il décède en 1983 et le journal ne lui survivra que 5 ans. La presse BD n’a plus la cote. Le lecteur lui préfère les albums et les éditions du Lombard, qui publiaient le journal, se concentreront désormais sur ce marché.
Mais voilà que, 35 ans après. un numéro exceptionnel sort à nouveau. Pourquoi maintenant? Parce qu’en 1948, le journal avait adopté un mystérieux slogan apparu en avril 1947 dans le courrier des lecteurs: «le journal des jeunes de 7 à 77 ans». Cela ne voulait pas forcément dire grand-chose, mais la phrase est restée célèbre. Et donc, en ce mois de septembre 2023, «Tintin» fête ses 77 ans.
80 auteurs réunis
Ce journal spécial de 400 pages a convié 80 auteurs soit à rendre hommage à leur héros préféré, soit à reprendre le leur. C’est une mine d’or, agrémentée de dossiers sur l’histoire du journal, dans lequel on découvre des récits de Blake et Mortimer, Michel Vaillant, Ric Hochet, Max l’explorateur. Tout lecteur qui a lu le journal à son époque y retrouvera ses personnages préférés. Ceux qui n’ont connu les héros qu’en album adoreront ces hommages à Thorgal, Dan Cooper ou Yakari.
Derib fait se rencontrer Buddy Longway et Corentin. Mais qu’allait faire Cosey, qui a dit qu’il arrêtait définitivement Jonathan? «J’ai pensé rendre hommage à certains de mes personnages préférés, Clifton, Chlorophylle ou Max l’explorateur, nous dit l’auteur vaudois, entré au journal en 1975. Et puis je suis revenu à Jonathan et j’ai trouvé le moyen de faire quelque chose sans le montrer». Cosey, sur deux pages, fait parler ceux que son héros a rencontrés sur son long chemin du retour jusque dans les Alpes vaudoises. Brillant!
Reprises de Tintin interdites
Vous vous régalerez au fil des pages, notamment avec François Boucq, qui intervient à plusieurs reprises, son héros Jérôme Moucherot tentant d’assurer Modeste et Pompon, Thorgal ou Bernard Prince. Avec un final génial, puisque Moucherot téléphone à un autre assureur de légende: Séraphin Lampion, personnage des aventures de Tintin. «J’ai voulu le dessiner, nous raconte Boucq, mais je n’en ai pas eu l’autorisation. J’ai donc dû me contenter de sa voix au téléphone». C’est le grand paradoxe de ce journal: Tintin est évidemment en couverture, un dessin d’Hergé, mais personne n’a eu le droit de le reprendre, prolongeant ainsi le plus grand tabou de la BD. Que cela ne vous empêche pas de vous procurer ce numéro exceptionnel qui restera dans l’histoire.
Une grande exposition à Bruxelles
Le lancement officiel a eu lieu vendredi 8 septembre à Bruxelles au Centre belge de la bande dessinée (CBBD). Les auteurs qui ont participé au journal ainsi que la presse étaient invités à une grande fête ainsi qu’à découvrir l’extraordinaire exposition consacrée à cette sortie. Conçue à la façon d’un magasin Ikea, elle emmène le visiteur de pièce en pièce, de nombreuses planches se cachant derrière des portes de placard ou des tiroirs à ouvrir. C’est scénographiquement extraordinaire et on y découvre des trésors d’originaux. La collection du CBBD est telle que de l’entier des planches sera renouvelé deux fois, l’occasion de voir trois expos différentes en un an.