Amérique latine«J’ai dansé sur du verre cassé, j’ai mangé des lames de rasoir»
Feux, transes et esprits, le spiritisme au Venezuela tente de venir à bout du Covid-19.
Dans la nuit noire, Victor Medina, regard vide, fait voler des étincelles rougeâtres du feu qu’il traverse pieds nus. S’emparant d’une bûche ardente, il la fracasse contre son crâne avant de mordre des braises. La cérémonie fait partie d’un rituel de «spiritisme» sur la montagne «sacrée» de Sorte (300 km à l’ouest de Caracas) où se regroupent tous les ans le 12 octobre (jour de la résistance indigène) des milliers d’adeptes. Certains pratiquent «Santeria», le culte des saints proches du vaudou haïtien ou du candomblé brésilien.
Selon les croyances, c’est à Sorte qu’est apparue Maria Lionza, la figure centrale et déesse de cette religion syncrétique, mélangeant des éléments des religions indigènes, africaines et du catholicisme, la religion dominante du pays. Cette année, la pandémie de Covid-19, qui avait empêché la tenue du rassemblement en 2020, est au cœur des cérémonies.
Torse nu, Victor continue sa transe et tourne autour du feu tandis qu’un autre adepte, Jeancarlos Liscano, le poursuit en crachant de l’eau-de-vie. Les tambours résonnent. «Qu’ils viennent! Qu’ils viennent! Je n’ai pas peur», crient ensemble devant quatre feux des spectateurs, dont la plupart disent être vaccinés contre le Covid-19. «C’est en hommage à la reine (Maria Lionza) pour qu’elle nous aide face à la pandémie», explique Jeancarlos, enseignant de 40 ans, qui se lance lui aussi dans le feu.
Vikings, saints et bandits
«Aujourd’hui, on rend hommage» à deux amis décédés du virus, explique Victor, boulanger de 33 ans. Avant la cérémonie, les centaines d’adeptes ont observé une minute de silence en mémoire des 4600 morts du coronavirus dans ce pays de 30 millions d’habitants.
Corps noirci par la suie, Victor vient d’accomplir le rituel pour la septième fois. «J’ai le corps un peu fatigué mais je me sens très bien», dit-il. Quelque 5000 adeptes sont dispersés sur les flancs de la montagne, dans des campements où ils ont installé des autels qui peuvent atteindre plusieurs mètres de haut. Avant la crise qui touche durement le pays, le regroupement annuel pouvait dépasser les 10’000 personnes.
Maria Lionza est partout. Une vierge souriante entourée de bougies, de fleurs et de fruits. Elle est souvent accompagnée de figures de l’histoire vénézuélienne comme le chef indien Guaicaipuro ou Pedro Camejo, dit «Negro Primero», soldat de l’indépendance face aux Espagnols. Parmi les autres figures, José Gregorio Hernandez (1864-1919), le médecin des pauvres, héros national vénézuélien qui dépasse les clivages politiques, religieux et qui a été béatifié par l’église catholique en avril.
Guéri grâce aux pouvoirs des lieux
Il existe de nombreux personnages hauts en couleurs et des libérateurs, des médecins, des Vikings et même des bandits, dans ce pays où la criminalité atteint des sommets, font aussi l’objet de cultes. Tilo Pereira invoque le «viking Mr Robdison» tout en crachant du sang. Pendant qu’on l’arrose d’eau, il se saisit d’une aiguille et se transperce la joue gauche.
Tilo est «matière». Selon les croyances, ce sont des intermédiaires entre les esprits et les hommes. Leurs rituels sont censés guérir. En transe, ils se coupent avec du verre ou marchent sur des tessons. Quelques heures plus tard, reposé, ce commerçant de 50 ans, qui porte un tatouage d’un Viking sur le bras explique: «L’esprit te soutient. J’ai dansé sur du verre cassé, j’ai mangé des verres, des lames de rasoir… c’est normal».
Partout sur le massif, des adeptes effectuent des rituels, se plongeant parfois dans les eaux froides de la montagne. Sorte est «magique», assure Krashnahia Gonzalez, 57 ans, qui dit avoir guéri du Covid-19 grâce aux pouvoirs des lieux.
Fatigue au moindre effort
«J’ai préparé mon petit thé, mes choses, j’ai pris mes vêtements et je suis allée là-haut. Je me suis déshabillée et j’ai pris un bain d’eau froide et je me suis débarrassée des énergies négatives avec du savon bleu», raconte-t-elle avec bonne humeur.
José Bernal, 61 ans, ouvrier originaire de Valence (à une centaine de km de Sorte) veut récupérer après avoir contracté le coronavirus. Ses poumons ont été touchés pendant la maladie et il dit se fatiguer au moindre effort.
Assis, les yeux fermés, il se soumet tranquillement aux rites. Un guide souffle de la fumée de tabac autour de son corps tout en l’aspergeant de jus de fruit. Puis les deux hommes marchent jusqu’à la rivière. José, qui se dit catholique, se signe trois fois avant de s’immerger dans les flots, puis de se laver avec un savon spécial. «C’est comme si j’avais reçu de l’énergie», souligne-t-il espérant que Maria Lionza «accomplisse un miracle pour sa récupération».