Wimbledon 2023À Wimbledon Park, les amateurs se la jouent comme des pros
À une centaine de mètres à vol d’oiseau du Centre Court, les terrains publics de Wimbledon Park ne désemplissent pas. Reportage.
- par
- Florian Müller Londres
En ce dimanche matin, c’est une procession qui demande une bonne dose de motivation. La soirée fut trop longue, ou la nuit trop courte, c’est selon, mais ils sont là. Et bien là. À Wimbledon Park, juste en contrebas du Temple, les amateurs ferraillent sur des terrains publics en gazon synthétique. Un revêtement moins beau, moins classe, mais qui a le mérite de rester vert toute l’année.
Dès 8 heures du matin les courts affichent complet. On a réussi à réserver le seul créneau disponible, entre 9 h et 10 h sur le No 1, par la grâce d’une annulation de dernière minute - en voilà sûrement un qui n’a pas réussi à se lever, mais personne ne lui jettera la pierre, sûrement pas nous en tous cas. Heureusement, une roulotte à café accueille ceux qui viennent d’émerger. Un double espresso «absolutly delighting», qui vaudrait à lui seul le déplacement, s’offre comme une première récompense.
Mais on n’est pas venu pour ça: nous, on veut jouer au tennis à Wimbledon. Alors oui, c’est un poil triché. Mais comme les courts en vrai gazon sont absolument inaccessibles, l’alternative à valeur de bénédiction. C’est du tennis? Oui. C’est à Wimbledon? Oui. C’est vert sous les pieds? Oui. Emballez c’est pesé: on achète! Quelques mètres plus loin, c’est le départ de la célèbre Queue - avec un peu d’imagination, on pourrait croire que tous ces gens attendent pour nous voir jouer.
Sur recommandation d’un habitué des lieux, on a pensé à embarquer une raquette dans la valise, mais on a complètement zappé les balles. Et figurez-vous qu’un dimanche matin, à Wimbledon, impossible de trouver un magasin qui vend des balles de tennis: ce n’est pas faute d’avoir essayé, à la supérette, chez le fleuriste et même à la boulangerie. C’est donc avec le maigre espoir d’en gratter ne serait-ce qu’une sur le court d’à côté qu’on s’avance en direction de la pelouse en plastique.
Sur un banc à l’entrée des terrains, on tombe sur James qui attend son partenaire. «Vous n’auriez pas une balle en trop?», lui souffle-t-on un brin gêné. Le quarantenaire sort de son sac un tube de Head Championship flambant neuves. «Tenez, faites-vous plaisir!» L’homme est charmant, il refuse catégoriquement la moindre contrepartie pécuniaire, pas même un café. Face à tant d’altruisme, la gêne monte, et puis très vite on se reprend: le seul moyen de se racheter, c’est de laisser nos tripes sur le terrain.
Après un bref échauffement musculaire de bon aloi, il s’agit d’appréhender les spécificités du jeu sur moquette. Des balles neuves, qui plus est sur gazon, ça fuse très vite. Il faut plier les genoux à l’équerre pour aller chercher la bonne hauteur de frappe, et chaque slice adverse demande un jeu de jambes de stakhanoviste pour se placer proprement. Au retour de service, le revêtement n’offrant que peu de rebond, il est très difficile d’entrer dans la balle tellement elle file à l’horizontale sous la raquette. Tout s’éclaire, et on comprend mieux pourquoi l’herbe favorise tant les grands serveurs - sur du vrai gazon ça doit être encore pire.
Sur le court d’à côté, les habitués multiplient les échanges sans se prendre la tête. Ici, l’ambiance est décontractée, mais personne ne rechigne à l’effort. Jouer à Wimbledon, ça s’honore. Même si le quartier est particulièrement huppé, les terrains du «Park», coincés entre un golf et des villas cossues, restent populaires, c’est-à-dire accessibles à tous sans «membership». 12 pounds l’heure de jeu, soit environ 15 francs: imbattable.
Le temps passe vite. On a pas mal galéré à contrôler cette satanée balle rasante et voilà que le t-shirt est déjà trempé plus que de raison. Ce n’est pas tant la chaleur qui pose le problème que l’humidité. De quoi là encore mieux comprendre les défis auxquels sont confrontés les joueuses et joueurs professionnels: la lourdeur de l’atmosphère fatigue les organismes, tord la lucidité, jusqu’à rendre fou, au bout de l’effort.
Sur le chemin du retour, direction la maison mais surtout la douche, le village de Wimbledon est un passage obligé. En ce dimanche de marché, entre les échoppes de fruits et légumes, des stands de nourriture proposent des trucs assez vilains, de quoi dilapider en quelques secondes le bénéfice calorique de la session de sport. Voilà au moins un truc que les pros doivent nous envier: eux, ils n’ont pas le droit de craquer.