FootballComment Murat Yakin a neutralisé le champion d’Europe
Le souci de l’adaptation à l’adversaire caractérise le sélectionneur de l’équipe de Suisse. Face à l’Italie, il a misé sur une orientation très individuelle sur les milieux adverses.
- par
- Valentin Schnorhk Belfast
Les réputations sont ainsi faites qu’elles imposent de vivre avec. Murat Yakin a la sienne. Elle a son double versant: le peu d’intérêt qu’il accorde au travail de fond, sur la durée, d’un côté; de l’autre, la préparation de match qui l’anime plus que n’importe quel autre aspect de la fonction d’entraîneur. Annihiler l’adversaire le transcende. Ses raisonnements sont mus par cette obsession. À la tête de l’équipe de Suisse, il devrait trouver son bonheur, avec des périodes de travail très courtes, où il est difficile de perdre de vue le match.
Murat Yakin a-t-il passé la semaine dernière à réfléchir à un plan pour contrer l’Italie? Il est autorisé de le supposer, d’autant que les forfaits successifs des uns et des autres l’ont sans doute contraint à affiner sa réflexion. Le 0-0 de dimanche a en tout cas permis de le déceler. Et puisqu’il ne s’agissait que du premier match officiel du nouveau sélectionneur, il ne convient pas d’y chercher une tendance nouvelle pour l’équipe de Suisse. Le temps permettra de le statuer (ou pas). C’était l’histoire d’une rencontre, et rien d’autre pour l’instant.
L’adversaire, plutôt que la zone
La carte abattue par Murat Yakin dimanche? Celle de l’orientation très individuelle dans le marquage à mi-terrain. On sait le technicien très soucieux de pouvoir fermer l’accès à l’axe à l’adversaire. Il y a plusieurs manières d’y arriver. La densité et la compacité entre les lignes et les joueurs en sont une. Contrôler la zone, plus que l’opposition.
Face à l’Italie, Yakin a privilégié l’option inverse. Façon de reconnaître le talent des champions d’Europe. Jorginho voit et réinvente le jeu comme personne d’autre en Europe à son poste? La réponse du sélectionneur helvétique a été de faire en sorte qu’il ne soit pas servi. Et, dans le pire des cas, de le mettre en difficulté dès la prise de balle.
Voilà pour la théorie. La pratique était exécutée par Djibril Sow, le plus souvent, ou Michel Aebischer. Dans le 4-1-4-1 suisse, le premier était de facto l’élément le plus avancé du milieu, et surtout parce que l’équipe nationale n’a que peu eu le ballon en première partie de match. Son rôle consistait ainsi à coller aux basques du cerveau italien. Celui-ci organisant le jeu depuis l’arrière, Sow était naturellement plus haut, jusqu’à aller chercher parfois les défenseurs centraux Giorgio Chiellini et Leonardo Bonucci. Un rôle ingrat, mais qui a permis de dessiner le visage de sa formation.
L’axe presque impénétrable
En cherchant à «chasser» Jorignho, Sow et la Suisse ont ainsi longtemps opposé un bloc médian, voire haut aux Azzurri. Cela traduisait un certain courage. Il était commandé par le plan de jeu et cette volonté de pratiquer un marquage quasi individuel. Les autres milieux italiens, Nicolo Barella et surtout Manuel Locatelli décrochaient? Alors Michel Aebischer, voire Fabian Frei poursuivaient leur vis-à-vis.
Retour à l’un des principes cardinaux de Yakin: l’intention de faire de l’intérieur du jeu une zone de non-droit. Avec une agressivité assumée sur le porteur de balle lorsque celui-ci se trouve dans l’axe du terrain. Qu’il s’agisse d’un des milieux, ou alors d’un attaquant. Lorenzo Insigne s’inscrit forcément dans cette idée. Le petit détonateur napolitain n’hésite pas à venir bas redemander des ballons. Silvan Widmer était prévenu: il suivait de près ses déplacements, quitte à dézoner totalement.
Le plan a été exécuté par la Suisse. Il explique d’ailleurs en partie le 0-0. Même s’il y a une part de chance à avoir conservé les buts de Yann Sommer inviolé. Le portier y est pour beaucoup, car tout n’a pas été parfait non plus. À force de ne plus contrôler la zone axiale pour suivre les décrochages italiens, la Suisse a aussi ouvert des lignes de passes dangereuses à son adversaire, qui a plus d’une fois su se débarrasser ou déjouer le marquage qui lui était opposé. Les Expected Goals le disent aussi: le 0-0 tient d’un petit miracle (2,09xG à 0,38xG en faveur de l’Italie).
Fermer en contrôlant
Mais la Suisse a aussi su fermer la boutique en seconde période. Les occasions adverses ont été moins nombreuses. Le contrôle a aussi été différent. La sortie de Sow et l’entrée de Denis Zakaria ont coïncidé avec une Suisse plus attentiste. Ou plus concentrée à fermer effectivement la zone plutôt qu’à se focaliser sur un seul joueur. Il fallait alors que Jorginho soit touché par un partenaire pour qu’Aebischer ou Zakaria sorte sur lui, pour le mettre quelque peu sous pression.
Le 4-1-4-1 a en effet été dès lors plus géométrique. Cela aussi favorisé des transitions plus marquées pour la Suisse. Une approche qui permettait à Zakaria de faire gagner des mètres et d’éliminer par une conduite de balle verticale. Le Genevois s’est mis en valeur dans une configuration où la Suisse partait de plus bas. Avec le sentiment d’un danger plus prégnant. Même si les chiffres permettent de le relativiser: le plan avec ballon avait ses limites. Mercredi, en Irlande du Nord, il s’agira de l’optimiser. Yakin y pense sûrement depuis le coup de sifflet final dimanche.